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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/273

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DES PENSÉES

D’où est venu ce préjugé que les solitaires voient mieux et plus loin que d’autres. Ayant proposé ses lois, Solon s’en alla. Ainsi les lois de Solon furent comme des statues, ne répondant point, mais s’affirmant toujours. Et il est de sagesse pour chacun de ne pas trop s’entretenir avec ses pensées, mais de les fixer en bon langage et de les oublier s’il peut. Ainsi toutes les ressources de l’art sont contre cette funeste instabilité propre aux pensées sans rhétorique. Tout homme donc, digne de ce nom, s’éloigne et s’en va ; mais ce n’est qu’un mouvement d’enfant, si les rêves le suivent dans la solitude. Où règne la peur, l’esprit n’est jamais seul. Les lois de Solon étaient seules, mais Solon emmenait avec lui les réclamants. Il vaut mieux fuir de moment en moment, par froid regard et jugement qui écarte. Ainsi, au milieu des autres, on se trouve délivré en même temps des autres et de soi. Thaïes, Socrate, Archimède se faisaient statues pour un moment. Disons donc pour finir que le sculpteur n’a point choisi le pire. Mais toujours appliquant la règle sans la connaître ; faisant du marbre ce que le marbre voulait, et l’édifice. Tout à son travail, d’enchaîner, de rabattre et de dresser ; pensant enfin sans savoir qu’il pense. Et l’œuvre, à son tour, exprime ce moment de la pensée que les mots, ni le souvenir, ne gardent point. C’est le moment du libre juge. C’est donc par juste sentiment que les statues furent adorées.