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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/279

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DE L’APPARENCE

est tout à fait détourné d’expliquer la beauté des peintures par la perfection même de l’apparence, qui nous tromperait comme on dit que le peintre antique trompait les oiseaux. Car il serait bien facile de conduire la peinture dans cette voie, soit par un mélange de choses réelles et de choses peintes, soit par des surfaces peintes situées à diverses distances, comme on voit au théâtre, soit par des artifices stéréoscopiques, ou bien en réalisant le mouvement apparent des choses ; les figures de cire seraient ainsi des peintures plus complètes et plus saisissantes. L’expérience a déjà prononcé que les vrais peintres ne visent pas là. Si un visage peint n’avait pas une autre puissance que le visage vivant, la peinture serait un pauvre art. Mais il faut comprendre que la peinture a son langage propre et ses moyens, que n’ont point les choses réelles ni les personnes, en sorte qu’elle n’est point empêchée par ses conditions, mais au contraire aidée et fortifiée, comme la sculpture par les siennes, la musique par les siennes, la prose par les siennes. Ainsi il est essentiel à la peinture de présenter en objet durable ce qui n’est pourtant qu’impression, et reste tel. Et cette condition, bien loin de faire obstacle à cette profondeur qui est propre au peintre, au contraire la définit sans aucune ambiguïté ; car il faut que le spectateur passe de l’impression au sentiment, sans aucun commentaire extérieur. On admirera cette analyse de la nature humaine, que les Beaux-Arts conduisent sans faute, pourvu qu’ils se soumettent aux conditions de métier qui assurent les pas de cette dialectique naturelle. On oserait dire que les Beaux-Arts ont fait plus pour le progrès de la pensée humaine que les leçons abstraites des philosophes. Donc, comme la prose ne cherche pas au delà du noir sur blanc, qui lui suffit, ainsi le vrai peintre ne cherche pas autre chose que cette forme plane et colorée, qui suffira à ses affirmations sans paroles. Mais les ressources de cet art sont si étendues, et le savoir-faire s’y développe si naturellement, que peu d’artistes renoncent tout à fait à ces