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SYSTÈME DES BEAUX-ARTS

loin. Il est impossible pourtant que la couleur d’un visage n’en soit pas modifiée, puisque nous voyons qu’une plus grande épaisseur d’air colore en rouge le soleil et la lune, et en bleu les montagnes et les forêts à l’horizon. La loi des contrastes complique encore l’apparence ; une ombre à côté d’une lumière jaune paraît souvent violette ; et au contraire, deux couleurs presques semblables s’atténuent encore par leur voisinage. Et enfin l’intensité de la lumière pousse toutes les couleurs au blanc, comme on sait ; de là vient qu’un ciel couvert ravive les couleurs des champs et des prairies. Mais pour l’ordinaire on ne remarque pas ces différences ; chacun au contraire cherche la nature même de la chose, et pense la couleur d’après la forme, disant que cette forêt est verte, ces toits rouges, cette route grise. Le peintre doit apprendre d’abord à considérer la couleur seulement, en oubliant l’objet, en vue de nous représenter l’objet par la couleur seule. En quoi il résiste au mouvement naturel de la pensée, qui toujours écarte le signe et se présente la chose. Et il est si difficile de ne point penser, que le peintre tombe souvent d’un préjugé dans un autre, disant que toute ombre est violette, qu’il y a du vert dans une barbe rousse et ainsi du reste ; et il est presque impossible que le pinceau ne sème pas un peu partout ce que l’œil a saisi quelque part un petit moment, surtout si l’alliance des couleurs est touchante par elle-même comme il arrive. La mode et l’imitation triomphent aisément ici, parce que les véritables couleurs sont difficiles à voir, et qu’au surplus le peintre seul a pu les voir.

Que ces couleurs naturelles changent d’un moment à l’autre, c’est ce que l’on peut comprendre aisément ; la lumière change selon la saison, l’heure et le nuage, et la couleur de toutes les choses est aussitôt modifiée. Comme ce changement se fait peu à peu, il arrive qu’on croit découvrir enfin ce qui vient de naître, et périt déjà. Il arrive aussi qu’on s’en tienne à une apparence d’un moment qui a plu, et que l’on a pu nommer ; et c’est une occasion de plus de tomber