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SYSTÈME DES BEAUX-ARTS

aux couleurs. En ce sens, l’ombre sculpturale est dominée. Mais, d’un autre côté, les contours de l’objet sont dévorés aussi par la couleur ; à quoi la sculpture ne consent jamais. On pourrait appeler ombre picturale ce jeu des lumières colorées, sombres ou éclatantes, qui efface si bien toute apparence de sculpture et même de dessin. Je ne sais si la peinture pourra jamais s’affranchir tout à fait du dessin par lignes, ou par surfaces ombrées selon le relief ; mais je remarque qu’elle y tend toujours, dans son patient travail, et qu’elle y parvient souvent dans la reproduction des parties les plus expressives. Cette peinture à l’état de pureté se montre dans les portraits les plus célèbres. Mais surtout chacun pourra apercevoir une erreur de métier dans ces portraits à grand relief qui, malgré une grande dépense de couleur, n’existent que par l’opposition du noir et du blanc. La couleur des chairs y est alors comme étrangère et, de reflet ; et tout ce rouge n’enlève pas la teinte cadavérique. La couleur n’y est pas incorporée, elle n’y est qu’accessoire. Le mieux qu’on puisse dire là-dessus est que les sentiments ainsi exprimés sont toujours de l’espèce dramatique, et aisément traduits en paroles, comme menace, fourberie, vengeance, cruauté. Et il faut remarquer encore une fois que ces signes grossiers sont bien trompeurs. Un sourcil épais, un front plissé, une grande barbe, un œil fortement ombré donnent aisément un air de résolution et de force à des hommes réellement faibles ; et ce contraste va souvent au ridicule. La vraie peinture efface d’abord sur un visage tous ces traits de hasard et toutes ces ombres étrangères. Aussi ne peut-on jamais dire d’un beau portrait ce qu’il exprime précisément, quoique la forme colorée, en son langage propre, le dise très bien.

Il faut insister sur l’ombre, qui, par des procédés presque mécaniques, donne si bien l’illusion d’un objet solide. Le pur dessin se détourne de ce langage vulgaire ; mais la peinture, naturellement si tâtonnante quand elle est réduite à ses moyens propres,