Aller au contenu

Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/290

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
288
SYSTÈME DES BEAUX-ARTS

qui se fait peindre, ou sa maîtresse, et qui veut que le modèle soit embelli, j’entends débarrassé de ces traits vulgaires et brutalement expressifs qui assurent la première ressemblance ; mais il n’y a pomt de ridicule dans l’œuvre qui lui donne satisfaction, parce que le peintre est alors condamné à retrouver la ressemblance par des moyens qui ne donnent aucune prise au discours. Ainsi ce genre de flatterie conduit celui qui ne veut pas mentir à parler enfin le vrai langage du peintre. Car c’est un travail d’enfant que de mettre la ruse, la cruauté, le mépris, l’avarice, comme un masque sur un visage ; mais ce n’est aussi qu’une vérité d’événement, non de nature. Le visage humain, dans son repos ou dans sa majesté étudiée, livre au regard les passions naissantes, et en même temps ces premières raisons que le discours et le mouvement dissimulent si bien. Car il y a quelque chose de forcé dans les paroxysmes ; mais la politesse fait paraître une nature suffisante et qui s’accepte toute, et ce sentiment secret est plus vivant que les actions. Et si tel est l’objet du peintre, que le peintre seul exprime et fixe, on voit que c’est le tyran qui forme le peintre.

Peut-être faut-il dire comme Stendhal : « Adieu peinture. La liberté vaut mieux. » Toujours est-il que la liberté gâte les visages, par cette permission d’exprimer l’humeur, qui dessine tantôt la vanité naïve, tantôt la fatigue, souvent la fureur et le désespoir, sans profondeur, sans gage de durée ; expression brutale, égarée souvent, vulgaire toujours. La vie intérieure est dévorée par les signes. Le peintre alors est retenu par les grimaces, et la caricature naît ; mais aussi les ressources de la peinture y sont tout à fait inutiles. Le tyran a encore cela de bon qu’il impose la politesse, et, par là, ce genre de beauté que saisit le peintre. Le cérémonial et les pratiques religieuses vont à peu près à la même fin. Ce n’est donc pas par hasard que les peintres ont représenté de préférence la méditation, l’extase et la prière. Ce n’est pas qu’il n’y ait une expression vulgaire de