Aller au contenu

Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/297

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
295
DU MOUVEMENT

apparences colorées, par des retouches qui parcourent l’ensemble, jusqu’à ce qu’un premier reflet, mais durable, de l’expression non pensée, serve désormais de modèle pour y accorder le reste. Cette lumière croît et décroît par les hasards du pinceau ; et tout le secret de cet art est dans une attention constante à saisir sur le modèle l’expression picturale, si fugitive, et à la reconnaître dans l’œuvre ; par quoi il arrive que tous les tâtonnements sont utiles, et que les honnêtes recherches du dessous soutiennent la couleur, et assurent la victoire. Aussi on n’improvise point un portrait. Et cet accord entre la patience d’esprit qu’il y faut, et les exigences de la matière que l’on met en œuvre, explique assez pourquoi la meilleure copie est si loin de l’original ; car le copiste ignore cette longue naissance. Et cette impossibilité de faire le portrait d’un portrait met en valeur le travail propre du peintre, qui fait le portrait d’un homme ; car on est mieux assuré, d’après cela, que la vraie ressemblance ne tient pas à ce qui est forme, et qui est mécaniquement imitable, mais aux jeux de la couleur soutenue et comme nourrie par la patiente recherche du peintre ; en sorte que dans les dessous, dans les épaisseurs, dans les entrelacements de l’huile sèche et de l’huile fraîche, rien n’est cherché à proprement parler, mais rien non plus n’est inutile.

Comme il y a de la pensée dans le travail du sculpteur, à quoi répond la pensée sculptée, ainsi il y a de l’amour dans le travail du peintre, à quoi répond le sentiment peint. Aussi l’action clairvoyante domine dans le travail du sculpteur ; dans celui du peintre plutôt l’espérance et la prière. L’ascétisme est commun aux deux, car l’un et l’autre doivent d’abord rejeter les moyens faciles et le désir de plaire. Mais, au lieu que le sculpteur agit par décrets, plus assuré le lendemain de ce qu’il fera par ce qu’il a fait, le peintre n’a pas d’autre secours qu’un pressentiment fort et la constance ; c’est comme un miracle qu’il attend. Ainsi les grâces du sentiment s’échangent entre son modèle, son œuvre et lui. Il y a donc une