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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/347

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DES MOYENS PROPRES À LA PROSE

phe pouvant donner puissance à l’un plus qu’à l’autre, il est difficile de ramener les mots à leur rôle d’éléments. Il le faut pourtant d’après l’idée même de la prose. Il y a des mots, et en assez grand nombre si l’on y fait attention, qui par le son ressemblent à la chose, comme ronflement, murmure, frisson. En quoi il faut distinguer les mots d’usage, où cette ressemblance n’est plus guère remarquée, les mots rares qui attirent alors l’attention, et surtout les mots inventés à cette fin. S’il n’est pas de la nature de la prose d’être lue tout haut, mais plutôt d’être lue par les yeux comme on dira, les effets de ce genre, résultant de la sonorité des mots, y seraient donc déplacés et même en pure perte, et il faudrait les laisser à la poésie et à l’éloquence. Mais il y a mieux à dire là-dessus, dont la poésie et l’éloquence pourront aussi faire leur profit, c’est que, par ces moyens étrangers, le vrai mouvement du langage se trouve rompu, et l’attention se trouve détournée de l’assemblage, ce qui va contre la structure du langage, car c’est toujours par une suite de mots convenablement liés que l’on représente les objets, et l’art d’écrire tire plutôt sa puissance de l’assemblage que des mots eux-mêmes. Les imitations par le son des mots seraient donc toujours des fautes contre le goût.

Un mot peut avoir puissance aussi par la superstition, comme on voit bien par les noms de lieux, qui sonnent autrement pour l’un que pour l’autre d’après les souvenirs forts qui y sont liés. Ainsi, pour un provincial, le nom de la ville où il a appris la politesse ; ainsi les noms exotiques pour ceux qui ont voyagé ; ainsi les noms devenus célèbres par l’histoire et par les œuvres. On dit bien qu’il y a une magie des mots, et des préférences de sentiment ou des aversions en chacun. Sans vouloir écarter tout à fait ce moyen-là, il est permis de penser que ce que l’on appelle le style plat est sans doute orné, mais à l’insu du lecteur, de ces mots à puissance magique que l’auteur naïf répète pour son propre agrément. Encore passe s’il lisait tout haut ses œuvres ; mais l’im-