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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/365

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du roman

à l’historien. Aussi remarquez que l’histoire ne se distingue nullement du roman par les actions ni par l’analyse des caractères, mais bien par ce genre de vérité qui dépend des témoignages et qui en conserve toujours la forme. Bref, le confidentiel n’a point de place dans l’histoire ; elle fait revivre, tout au plus, les hommes comme nous les voyons vivre, remontant toujours des actions aux motifs. Or ce qui est romanesque c’est la confidence, qu’aucun témoignage ne peut appuyer, qui ne se prouve point, et qui, au rebours de la méthode historique, donne la réalité aux actions. Les Confessions seraient donc le modèle du roman.

Il faut insister là-dessus ; car le roman a fait naître deux mots, romanesque et romantique, qui sont un bon exemple de ces inventions viables, d’ailleurs rares, mais assez riches de sens pour rivaliser avec les mots les plus anciens. La partie historienne d’un caractère est ce par quoi il tombe sous le jugement de l’histoire ; ce sont des pensées et des raisons tirées de témoignage et destinées au témoignage. Mais la partie romanesque ou romantique d’un caractère comprend les passions véritables, j’entends les rêveries, les joies, les tristesses, les dialogues avec soi, dont la politesse et la pudeur détournent de parler. Au reste cette partie de l’âme ne prend quelque développement que chez les rêveurs, et surtout par l’œuvre même, car l’action réelle dévore le rêve. L’action dépend des témoins, et, par suite, les raisons empruntent beaucoup aussi au témoignage. Nous ne savons rien des rêveries de Bonaparte ; et, pour lui-même, il est vraisemblable que son ambition suivit ses actions ; car le succès même nous détourne toujours, et quelquefois nous renouvelle. Et c’est bien une idée romanesque ou romantique, de juger que l’action ne réalise jamais le rêve. Toute action est sociale ; et si elle n’est pas déterminée par les circonstances, elle relève alors d’un jugement immédiat fondé sur les perceptions du moment ; ces motifs réels n’ont jamais rien de romanesque. L’action de guerre est riche en en-