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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/373

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DES PERSONNAGES

logue. Et, comme je ne suis point deux, ainsi il ne faut qu’un personnage de ce genre ; et s’il manque, c’est l’auteur même qui m’invite à penser et à observer avec lui. D’autres personnages sont connus seulement par leurs actions, leurs gestes et leurs paroles, autant que le principal personnage les perçoit ; mais la confiance ou l’intimité permettent ici de deviner beaucoup ; et de plus les sentiments romanesques agissent aussi sur eux et les éveillent par éclairs ; mais ils sont de l’objet déjà, et déjà engagés dans le mécanisme extérieur. Encore y a-t-il ici des degrés, et Mathilde est plus loin de nous, moins accessible et plus chose, que madame de Rénal. La troisième espèce comprend les Samanon, les Hochon, les Cibot, les Fraisier, les Listomère, les Conti. C’est un peuple d’automates, non point secondaires d’importance, mais soutenant le monde des hommes au contraire, et lui donnant force et résistance d’objet. De quoi le romanesque ne sait pas grand ’chose, ni personne ; contre quoi nul ne peut rien. Ils parlent et agissent selon la nécessité ; leur porte fermée, on ne sait plus rien d’eux. J’ai longtemps remarqué la puissance de ces figures qu’on dirait épisodiques, j’entends extérieures, aussi bien pour elles. Mais je n’ai pas compris sans peine que cette puissance venait de ce que ces esquisses, en traits et en actions seulement, sont par leur être même des esquisses, en ce sens que la vie romanesque y est niée absolument ; même leurs affections sont sans conscience ; c’est pourquoi ni amour, ni prière ne les touchent. De Marsay est sans doute la plus saisissante de ces figures sans pensée, ou sans conscience, dans tous les sens de ce mot si riche ; le puéril de Mortsauf encore, et tant d’autres. Tous ces degrés d’être font un monde plein, que la pensée romanesque éclaire et dessine en tous ses reliefs. Ces remarques aideront à comprendre ce que c’est qu’un roman sans matière, et fait seulement de confidences.