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SYSTÈME DES BEAUX-ARTS

faire porter aux sentiments et aux actions des édifices démesurés. En ce sens les descriptions de Balzac promettent beaucoup, mais non pas trop. La première remarque à faire au sujet de ces préparations, c’est que toutes les parties en sont liées par des jugements ; c’est ainsi que la prose construit. On dirait que la pensée cherche alors une prise partout ; au lieu que la poésie décrit assez par juxtaposition, parce que le rythme nous tient. Il faut donc que cette description soit science en toutes ses parties, de façon que le jugement lie une partie à l’autre ; et, à ce sujet, l’on comparera utilement les analyses descriptives de Balzac ou de Stendhal avec d’autres peintures littéraires, comme celle de Carthage dans Salammbô, qui ne traduisent que les apparences des choses. Tout édifice de prose tient par la pensée d’abord. Ainsi les images mouvantes sont retenues ou ramenées autour d’un centre. On oserait dire qu’ici c’est la pensée qui fait corps et matière. Si le lecteur résiste, c’est qu’il entend par pensées des formules abstraites qui, à dire vrai, ne saisissent rien. Et il est pourtant vrai que Balzac ou Stendhal ont mieux compris ce que c’est qu’une ville comme Alençon ou Verrières qu’aucun géographe ne l’a encore su faire.

Chose digne de remarque, l’imagination n’entre pas d’abord en jeu dans ces descriptions ; elles semblent un peu abstraites ; on n’y voit que les jugements. C’est ensuite, et dans le récit, que les choses se montrent, non pas étalées et en spectacle, mais comme elles accourent, apparaissent et disparaissent autour de l’homme qui agit. Images vives alors, et d’un instant, parce que l’action nous entraîne. Et observez ce qui arrive à ceux qui lisent mal. Les descriptions leur semblent froides parce qu’ils ne prévoient pas l’action ; et l’action leur paraît nue, comme elle est en effet dans le récit, parce qu’ils n’ont pas assez suivi les descriptions. Et comme enfin les sentiments naissent de l’action, mais veulent des objets aussi, on retrouve ici la loi de la prose, d’après laquelle tout doit s’offrir en même temps, après détours