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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/388

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SYSTÈME DES BEAUX-ARTS

ambitieuse est détournée par cette profonde gymnastique qui est la science des manières, et que la pensée est réglée par le corps. La vraie modestie se montre ici comme il faut et par ses vraies causes. La Bruyère dit, en d’autres termes, que l’honnête homme ne se pique de rien. Cette belle tenue s’accorde rarement avec des pensées neuves et fortes. Il y a de l’ordinaire dans les idées de l’homme poli. Tel serait donc le style sans contenu. Du moins nous saisissons ici la modestie dans son attitude, qui par elle-même exclut l’emportement et même l’entraînement, annonciateurs de sottise. Et je crois que le style est style par ce qu’il annonce, qui est au contraire retenue et attention déliée.

Ces remarques sont pour faire entendre que le style, de même que la politesse, ne peut jamais être volontaire ni cherché, mais enferme une improvisation libre que le travail n’imite jamais. Dans les idées du sauvage qui a travaillé seul, je vois souvent une impolitesse qui ne se montre pas dans les premières apparences, mais plutôt par l’absence du bonheur d’expression, comme on dit si bien. Il est clair que la vraie culture, dans cet art périlleux de la prose, a pour fin de conquérir la modestie sans perdre la force. Allant droit au but, d’après la leçon des arts qui nous sont mieux connus, je conjecture que les travaux de l’esprit ne conduisent à la forme, ou si l’on veut au style, qu’autant qu’ils ressemblent aux travaux manuels ; car notre condition humaine est telle, par la fabrique de notre corps, que seule l’action efface les passions, délivre le cœur, et enfin la pensée. C’est pourquoi j’aimerais qu’une école de belles-lettres ressemblât toujours à quelque atelier de peintre, où l’on ne médite jamais sans faire. Et cette culture exclut tout à fait, selon mon opinion, ces connaissances que l’on prend en écoutant et que l’on prouve en parlant. Cette méthode ne conviendrait qu’à quelque école d’éloquence, à la mode des anciens ; mais l’idée même en est perdue. Toujours est-il qu’à une telle école on n’apprendrait point l’art de la prose, lequel est