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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/57

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L’ART ÉQUESTRE ET QUELQUES AUTRES

soit averti ; autrement il ne connaîtrait ni la difficulté ni le danger de l’action, et il y verrait quelque chose d’artificiel et de laid. Il faut remarquer ici que la vraie élégance, qui est puissance, mais cachée, semble souvent gauche et laide au premier regard. Il s’en faut de beaucoup que l’œil saisisse aussitôt la liaison du cavalier à la bête. En tout art il y a ainsi un petit effort qu’il faut faire contre la première impression. La même difficulté se retrouvera dans la mimique et dans les danses étudiées, où il arrive que l’on reçoive d’abord une impression pénible. Et cela est propre à cette espèce d’art qui n’est spectacle que par accident, et où l’homme qui danse ou agit est le meilleur juge ; aussi ne faut-il jamais juger de la danse si on ne danse soi-même. Ce genre d’art a pour objet le corps humain, et pour spectateur celui-là même qui danse ou s’exerce.

Cette remarque s’applique à l’art de l’escrime, où l’on discerne aisément l’utile et le beau, quoiqu’ils doivent s’accorder finalement. Il est connu que la meilleure position d’escrimeur, j’entends la plus favorable au départ vif, à la parade, à la feinte a quelque chose de pénible pour le spectateur non éduqué. Il y a donc un art de plaire qui n’est pas l’art véritable, et une escrime de théâtre pour tout dire. Ainsi il y a une ambiguïté au sujet du naturel. Le naturel est changé par l’opinion vulgaire, je veux dire par ce genre de spectacle qui n’est pas confirmé par l’œuvre ; et tel est l’art du comédien, le plus flatteur, le plus facile, le plus faux, et qui veut régir tous les autres. Ainsi le dessin du faucheur, je dis le vrai et beau dessin, n’est pas toujours celui qui plaira au premier instant. On peut prendre pour conventionnelle l’attitude de l’escrimeur et celle du cavalier, comme aussi la pose du cheval, si l’on n’a pas assez regardé, et surtout si l’on n’a joué cette mimique soi-même. Mais distinguons ici deux mimiques, celle qui fait quelque chose, et celle qui ne fait rien qu’exprimer. Le dernier juge c’est la passion, qui doit être vaincue. Ainsi l’amour doit être apaisé après la danse,