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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/89

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CHAPITRE PREMIER

DU LANGAGE PARLÉ

Le gémissement, le râle, le cri, avec toutes les nuances de l’aigu et du grave et du décroissant, du continu et du saccadé, émeuvent encore bien plus que les gestes et que les mouvements du visage ; car l’oreille est soupçonneuse étant un sens de nuit. Le langage parlé, si on l’écoute bien, apparaît comme une suite de gémissements, de râles et de cris, réglés uniformément pour le principal, et néanmoins presque toujours inquiétants, par l’indétermination de ce qui va suivre. Il est clair que bien parler suppose une discipline, une uniformité plus grande, et une juste intonation, entendez surtout mesurée, comme le mot juste le dit si bien. Même hors des passions, il arrive presque toujours que la voix naturelle, trop pressée, et mal réglée par gymnastique, s’élève à l’aigu par une contracture du larynx ; et c’est encore un bel exemple d’excitation sans objet aucun, qui conduit souvent à la colère ; on sait que les prétextes ne manquent jamais. Il y a donc toujours quelque chose de menaçant dans la parole naturelle, et il faut une préparation assez savante pour que le premier mot ne choque point. On ne fait pas assez attention à ces petites causes, qui entretiennent une espèce de guerre