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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/92

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CHAPITRE II

DE LA POÉSIE COMME MNÉMOTECHNIE

La poésie est une éloquence recherchée, réglée et invariable, qui convient à des pensées communes. Si l’on pose qu’il y a des manières de dire plus serrées, plus riches, plus frappantes que d’autres, chacun éprouve le besoin de retenir cette forme précieuse. La rencontre d’une telle forme avec un rythme connu d’avance, et avec le retour de certains sons, donne une sécurité de mémoire qui est la condition de la lecture sans livre. Quand le poème est imprimé, ce plaisir d’esprit est moins senti. N’oublions jamais que la pensée est vagabonde et informe tant qu’elle n’a pas d’objet ; l’imagination jette d’autres mots à la traverse, et bientôt des pensées tout à fait étrangères. On peut observer, chez ceux qui ne lisent guère et qui n’écrivent point, un état errant de l’esprit et un égarement véritable, dès que l’objet n’est plus perçu. De là vient que tant d’hommes sont ingénieux et même inventeurs devant une machine qu’ils connaissent bien, alors que dans les moindres recherches sur le droit, l’égalité, la justice, le bonheur, les passions, ils font voir des pensées de première enfance.

Il faut considérer que la poésie est le seul soutien, en ces matières, de ces esprits enfants qui courent faute de savoir marcher. La mémoire est mal connue ;