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Page:Alberti- De la statue et de la peinture, 1868.djvu/18

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PROLOGUE.

ouverte, que les ânes parlent latin ? Chacun s’en mêle à présent, et nous pouvons dire avec le bonhomme Scarron :

    
Un barbier y met bien la main,
Qui, bien souvent, n’est qu’un vilain,
Et dans son métier un grand aze.

Mais l’esthétique est un pavillon qui couvre la marchandise, et, dès qu’elle resplendit quelque part, comme le tétragramme hébraïque de Jéhovah, il semble qu’il faille s’incliner, et qu’il y ait là un sanctuaire.

Les Grecs entendaient par Αἴσθησις la faculté de sentir. Les modernes en ont fait l’esthétique ou science des sensations. Le jour où Baumgarten, professeur de philosophie à Francfort sur l’Oder, émit, le premier, ce grand mot, il ne se doutait guère de l’énorme consommation qu’en ferait un jour la critique. Incompris des foules, il retentit avec l’autorité d’une trompette qui commande le silence. Les théories transcendantales s’en taillent des robes doctorales. Il y a bien des élucubrations boiteuses auxquelles il sert de béquille, et les pédants s’en font litière. Je ne lui veux aucun mal, mais je trouve que, jusqu’ici, il a fait plus couler d’encre qu’il n’a versé de lumière.