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Page:Alexis - La Fin de Lucie Pellegrin, etc, 1880.djvu/112

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L’INFORTUNE DE MONSIEUR FRAQUE

sion de serrer les genoux, de déployer ses talents d’écuyer consommé. Presque debout sur les étriers, tirant à lui les rênes, la taille cambrée, l’œil vif, le poil hérissé, M. Fraque, redevenu jeune, passa assez vite sur la chaussée du boulevard extérieur.

Il était une heure. Des nourrices allaitaient leur marmot, assises sur de vieux bancs de pierre où la pluie avait à la longue creusé de grands trous. Contre les ruines du rempart de Noirfond, tapissé de lierre, des bonnes laissaient courir leurs enfants au soleil d’hiver. Bonnes et nourrices, retournées toutes au galop exceptionnel de Jenny, sourirent, en se disant :

— C’est cet original de M. Fraque qui passe.

Cette allure effrénée ne dura qu’un temps. Sur la grande route de Marseille, Jenny reprit sa paisible allure ordinaire ; et, lâchant les rênes, la taille toujours droite et raide, mais plissant le front et vieilli de vingt ans, M. Fraque retomba dans ses sombres pensées. Au sortir de Noirfond, la route de Marseille fait une grande descente pendant près de trois kilomètres. Il n’avait pas plu depuis plusieurs jours, et le mistral, ce fléau de la Provence, ne soufflait pas. Par cette belle après-midi de janvier, la route s’étendait blanche, propre sous le ciel bleu, bordée de sa double rangée de jeunes platanes ayant tous conservé quelque touffe de feuilles rouillées, qu’un clair soleil faisait reluire. Des chants d’oiseaux sortaient de droite et de gauche de la campagne ensoleillée. Il y avait même de la clarté et de la joie le long des jaunes po-