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Page:Alexis - La Fin de Lucie Pellegrin, etc, 1880.djvu/324

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JOURNAL DE MONSIEUR MURE.

de printemps magnifique. La place était pleine de gens s’attardant avec délices. Des couples se parlaient doucement. Pour la première fois de l’année, les cafés avaient mis leurs tables dehors. J’entrai au bureau de tabac de la Civette rallumer mon cigare. Puis, comme je stationnais sur le trottoir, accablé de me sentir seul par cette soirée tiède, peu pressé d’aller me mettre au lit et sûr de n’y pas dormir, voici que l’omnibus aux deux yeux rouges : Odéon-Batignolles-Clichy s’arrête devant moi. « Tiens ! celui qui va jusqu’à la Cité-des-Fleurs ! » Et il n’y avait presque personne sur l’impériale… Au bout de vingt-cinq minutes, l’omnibus s’arrêtait au dernier bureau. Je descends de l’impériale et je franchis la porte de la Cité. La bonne odeur de jasmins, de roses et de seringats ! L’adorable bouffée d’émanations nocturnes, atmosphère de velours, palpitants bruissements de feuilles ! Là, je me promenai longtemps au milieu de tous ces jardins n’en faisant qu’un agrandi dans l’ombre. Il n’y avait pas de lune. Rien que des étoiles, et, çà et là, au-dessus des feuillages, deux ou trois fenêtres éclairées, mettant leur petite tache jaune dans la nuit. Puis, en avançant encore, les lueurs jaunes disparaissaient, et je me trouvais perdu dans une frémissante solitude, au fond de quelque désert parfumé, où j’étais isolé du reste du monde, et où il me semblait pourtant n’être pas loin d’Hélène. Elle avait respiré ici, des nuits de printemps pareilles, et il était resté quelque chose d’elle. Cette