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Page:Alexis - La Fin de Lucie Pellegrin, etc, 1880.djvu/86

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L’INFORTUNE DE MONSIEUR FRAQUE

heure ses mèches d’un blond pâle. Nommé bientôt procureur du roi, il se condamna à perpétuité à la cravate blanche et à l’habit, comme on le portait alors, bleu, à grands parements et à boutons de métal. Au moral, il porta aussi cravate blanche : M. Prudhomme, au Palais, rompant des lances sages pour défendre la propriété, la religion et la famille, tandis que, dans la vie privée, une originalité de maniaque, une excentricité criarde, chiffonnaient cette méthodique cravate.

Monsieur passa sa vie dans un aile de l’hôtel de Beaumont, et madame dans l’autre. Le grand salon de réception, immense, avec des panneaux peints par Boucher, et une véritable scène au fond, sur laquelle la bisaïeule maternelle de M. Fraque avait joué tout Marivaux, la salle à manger et la longue galerie de tableaux, — en tout quinze fenêtres de façade, — séparaient les deux époux. Chaque matin, vers neuf heures, Isnard, le valet de chambre, entrait chez son maître qui, invariablement, souvent même avant d’avoir ouvert les yeux, lui adressait la même question double : — « Comment va ma jument ? — Savez-vous si Madame a bien dormi ? » Et, presqu’aussitôt, feignant de ne pas entendre la réponse, exagérant sa surdité, M. Fraque vociférait : — « Bonne bête ! bonne bête ! » Et il ne tarissait plus sur le compte de sa jument, pendant tout le temps qu’Isnard passait à l’habiller : — La nuit avait été froide, ne s’était-elle pas, enrhumée ? Sa couverture de laine suffisait-elle ?