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Page:Alexis - La Fin de Lucie Pellegrin, etc, 1880.djvu/89

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L’INFORTUNE DE MONSIEUR FRAQUE

terre où il n’allait pas deux fois l’an. Un samedi soir, il reçut un mot du fermier : — Les douze cochons et les douze truies que le procureur du roi avait achetés au comice agricole, étaient arrivés. Et le fermier, fort embarrassé, les avait provisoirement logés dans l’écurie et dans la remise, où les douze couples salissaient tout, faisaient un vacarme épouvantable.

Le lendemain, de grand matin, Isnard réveilla son maître, qui monta à cheval, et se rendit au trot à sa propriété. M. Fraque prit quinze jours de congé, qu’il passa avec ses porcs, les touchant, les caressant, leur donnant lui-même des glands, prenant un plaisir d’enfant à les entendre grogner, péter, renifler. Leurs ventres, d’où pendaient de longues soies lisses, étaient difformes. Ils plongeaient le groin avec délices dans leur pâtée de son et de pommes de terre. M. Fraque riait aux larmes, et avait complètement oublié sa femme.

Un architecte, mandé de Marseille, arriva au moment où le procureur du roi, radieux, était en train de marivauder avec une jeune truie. Séance tenante, on chercha un emplacement, on arrêta le plan d’une porcherie-modèle. M. Fraque voulut un palais. Rien n’était trop beau ! Il fallait du marbre partout et rien que du marbre, du marbre rose pour les mangeoires, du marbre blanc pour les escaliers intérieurs, du marbre vert pour les colonnes de la façade et les sculptures emblématiques d’un fronton. Quand M. Fraque fut de retour de sa terre, au bout des