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Page:Alexis de Tocqueville - De la démocratie en Amérique, Pagnerre, 1848, tome 2.djvu/180

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CE QUI TEMPÈRE LA TYRANNIE, ETC.

gistes, et parmi eux les magistrats, forment le seul corps aristocratique qui puisse modérer les mouvements du peuple. Cette aristocratie n’est revêtue d’aucune puissance matérielle, elle n’exerce son influence conservatrice que sur les esprits. Or, c’est dans l’institution du jury civil qu’elle trouve les principales sources de son pouvoir.

Dans les procès criminels, où la société lutte contre un homme, le jury est porté à voir dans le juge l’instrument passif du pouvoir social, et il se défie de ses avis. De plus, les procès criminels reposent entièrement sur des faits simples que le bon sens parvient aisément à apprécier. Sur ce terrain, le juge et le juré sont égaux.

Il n’en est pas de même dans les procès civils : le juge apparaît alors comme un arbitre désintéressé entre les passions des parties. Les jurés le voient avec confiance, et ils l’écoutent avec respect, car ici son intelligence domine entièrement la leur. C’est lui qui déroule devant eux les divers arguments dont on a fatigué leur mémoire, et qui les prend par la main pour les diriger à travers les détours de la procédure ; c’est lui qui les circonscrit dans le point de fait et leur enseigne la réponse qu’ils doivent faire à la question de droit. Son influence sur eux est presque sans bornes.

Faut-il dire enfin pourquoi je me sens peu ému des arguments tirés de l’incapacité des jurés en matière civile ?

Dans les procès civils, toutes les fois du moins qu’il ne s’agit pas de questions de fait, le jury n’a que l’apparence d’un corps judiciaire.