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Page:Alexis de Tocqueville - De la démocratie en Amérique, Pagnerre, 1848, tome 2.djvu/195

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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

de l’homme, et se hâte de faire disparaître sa trace éphémère.

Je me souviens qu’en traversant l’un des cantons déserts qui couvrent encore l’État de New York, je parvins sur les bords d’un lac tout environné de forêts comme au commencement du monde. Une petite île s’élevait au milieu des eaux. Le bois qui la couvrait, étendant autour d’elle son feuillage, en cachait entièrement les bords. Sur les rives du lac, rien n’annonçait la présence de l’homme ; seulement on apercevait à l’horizon une colonne de fumée qui, allant perpendiculairement de la cime des arbres jusqu’aux nuages, semblait pendre du haut du ciel plutôt qu’y monter.

Une pirogue indienne était tirée sur le sable ; j’en profitai pour aller visiter l’île qui avait d’abord attiré mes regards, et bientôt après j’étais parvenu sur son rivage. L’île entière formait une de ces délicieuses solitudes du Nouveau-Monde qui font presque regretter à l’homme civilisé la vie sauvage. Une végétation vigoureuse annonçait par ses merveilles les richesses incomparables du sol. Il y régnait, comme dans tous les déserts de l’Amérique du Nord, un silence profond qui n’était interrompu que par le roucoulement monotone des ramiers ou par les coups que frappait le pic-vert sur l’écorce des arbres. J’étais bien loin de croire que ce lieu eût été habité jadis, tant la nature y semblait encore abandonnée à elle-même ; mais, parvenu au centre de l’île, je crus tout-à-coup rencontrer les vestiges de l’homme. J’examinai alors avec soin tous les objets d’alentour, et bientôt je ne doutai plus qu’un Européen ne fût venu cher-