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Page:Alexis de Tocqueville - De la démocratie en Amérique, Pagnerre, 1848, tome 2.djvu/213

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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

ces missionnaires de la civilisation chrétienne, vous serez tout surpris de les entendre parler si souvent des biens de ce monde, et de trouver des politiques où vous croyez ne voir que des religieux. « Toutes les républiques américaines sont solidaires les unes des autres, vous diront-ils ; si les républiques de l’Ouest tombaient dans l’anarchie ou subissaient le joug du despotisme, les institutions républicaines qui fleurissent sur les bords de l’océan Atlantique seraient en grand péril ; nous avons donc intérêt à ce que les nouveaux États soient religieux, afin qu’ils nous permettent de rester libres. »

Telles sont les opinions des Américains ; mais leur erreur est manifeste : car chaque jour on me prouve fort doctement que tout est bien en Amérique, excepté précisément cet esprit religieux que j’admire ; et j’apprends qu’il ne manque à la liberté et au bonheur de l’espèce humaine, de l’autre côté de l’Océan, que de croire avec Spinoza à l’éternité du monde, et de soutenir avec Cabanis que le cerveau sécrète la pensée. À cela je n’ai rien à répondre, en vérité, sinon que ceux qui tiennent ce langage n’ont pas été en Amérique, et n’ont pas plus vu de peuples religieux que de peuples libres. Je les attends donc au retour.

Il y a des gens en France qui considèrent les institutions républicaines comme l’instrument passager de leur grandeur. Ils mesurent des yeux l’espace immense qui sépare leurs vices et leurs misères de la puissance et des richesses, et ils voudraient entasser des ruines dans cet abîme pour essayer de le combler. Ceux-là sont à la liberté ce que les compagnies fran-