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Page:Alexis de Tocqueville - De la démocratie en Amérique, Pagnerre, 1848, tome 2.djvu/71

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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

jours par se conformer à l’esprit de ses commettants et par faire prévaloir leurs penchants aussi bien que leurs intérêts.

Les profusions de la démocratie sont, du reste, moins à craindre à proportion que le peuple devient propriétaire, parce qu’alors, d’une part, le peuple a moins besoin de l’argent des riches, et que, de l’autre, il rencontre plus de difficultés à ne pas se frapper lui-même en établissant l’impôt. Sous ce rapport, le vote universel serait moins dangereux en France qu’en Angleterre, où presque toute la propriété imposable est réunie en quelques mains. L’Amérique, où la grande majorité des citoyens possède, se trouve dans une situation plus favorable que la France.

Il est d’autres causes encore qui peuvent élever la somme des dépenses publiques dans les démocraties.

Lorsque l’aristocratie gouverne, les hommes qui conduisent les affaires de l’État échappent par leur position même à tous les besoins ; contents de leur sort, ils demandent surtout à la société de la puissance et de la gloire ; et, placés au-dessus de la foule obscure des citoyens, ils n’aperçoivent pas toujours clairement comment le bien-être général doit concourir à leur propre grandeur. Ce n’est pas qu’ils voient sans pitié les souffrances du pauvre ; mais ils ne sauraient ressentir ses misères comme s’ils les partageaient eux-mêmes ; pourvu que le peuple semble s’accommoder de sa fortune, ils se tiennent donc pour satisfaits, et n’attendent rien de plus du gouvernement. L’aristocratie songe à maintenir plus qu’à perfectionner.