Aller au contenu

Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/143

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

quinze qui aient vingt mille livres de rente. » Je lis dans une sorte d’instruction qu’un autre intendant (celui de Franche-Comté) adresse à son successeur en 1750 : « La noblesse de ce pays est assez bonne, mais fort pauvre, et elle est autant fière qu’elle est pauvre. Elle est très-humiliée en proportion de ce qu’elle était autrefois. La politique n’est pas mauvaise, de l’entretenir dans cet état de pauvreté, pour la mettre dans la nécessité de servir et d’avoir besoin de nous. Elle forme, ajoute-t-il, une confrérie où l’on n’admet que les personnes qui peuvent faire preuve de quatre quartiers. Cette confrérie n’est point patentée, mais seulement tolérée, et elle ne s’assemble tous les ans qu’une fois, et en présence de l’intendant. Après avoir dîné et entendu la messe ensemble, ces nobles s’en retournent chacun chez eux, les uns sur leurs rossinantes, les autres à pied. Vous verrez le comique de cette assemblée. »

Cet appauvrissement graduel de la noblesse se voyait plus ou moins, non-seulement en France, mais dans toutes les parties du continent, où le système féodal achevait, comme en France, de disparaître, sans être remplacé par une nouvelle forme de l’aristocratie. Chez les peuples allemands qui bordent le Rhin, cette décadence était surtout visible et très-remarquée. Le contraire ne se rencontrait que chez les Anglais. Là, les anciennes familles nobles qui existaient encore avaient non-seulement conservé, mais fort accru leur fortune ; elles étaient restées les premières en richesse aussi bien qu’en pouvoir. Les familles nouvelles qui s’étaient