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Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/180

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Il se bâtit de cette manière peu à peu une machine administrative si vaste, si compliquée, si embarrassée et si improductive, qu’il fallut la laisser en quelque façon marcher à vide, et construire en dehors d’elle un instrument de gouvernement qui fût plus simple et mieux à la main, au moyen duquel on fit en réalité ce que tous ces fonctionnaires avaient l’air de faire.

On peut affirmer qu’aucune de ces institutions détestables n’aurait pu subsister vingt ans, s’il avait été permis de les discuter. Aucune ne se fût établie ou aggravée si on avait consulté les États, ou si on avait écouté leurs plaintes quand par hasard on les réunissait encore. Les rares États-généraux des derniers siècles ne cessèrent de réclamer contre elles. On voit à plusieurs reprises ces assemblées indiquer comme l’origine de tous les abus le pouvoir que s’est arrogé le roi de lever arbitrairement des taxes, ou, pour reproduire les expressions mêmes dont se servait la langue énergique du quinzième siècle, « le droit de s’enrichir de la substance du peuple sans le consentement et délibération des trois États. » Ils ne s’occupent pas seulement de leurs propres droits ; ils demandent avec force et souvent ils obtiennent qu’on respecte ceux des provinces et des villes. À chaque session nouvelle, il y a des voix qui s’élèvent dans leur sein contre l’inégalité des charges. Les États demandent à plusieurs reprises l’abandon du système des jurandes ; ils attaquent de siècle en siècle avec une vivacité croissante la vénalité des offices. « Qui vend office vend justice, ce qui est chose infâme, » disent-ils.