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Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/183

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de dommages et de périls à vaincre qu’à être vaincu.

Je crois, en effet, que si Lamartine se fût mis résolument, dès le premier jour, à la tête de l’immense parti qui voulait ralentir et régler la révolution et qu’il eût réussi à conduire celui-ci à la victoire, il n’aurait pas tardé à être enterré dans son triomphe ; il n’eut pu arrêter à temps son armée qui l’aurait bientôt laissé en arrière et se fût donné d’autres conducteurs.

Je ne pense pas qu’il lui fût possible, quelque conduite qu’il eût tenue, de garder longtemps le pouvoir ; je crois qu’il ne lui restait que la chance de le perdre avec gloire, en sauvant le pays. Lamartine n’était assurément pas homme à se sacrifier de cette manière. Je ne sais si j’ai rencontré, dans ce monde d’ambitions égoïstes, au milieu duquel j’ai vécu, un esprit plus vide de la pensée du bien public que le sien. J’y ai vu une foule d’hommes troubler le pays pour se grandir : c’est la perversité courante ; mais il est le seul, je crois, qui m’ait semblé toujours prêt à bouleverser le monde pour se distraire. Je n’ai jamais connu non plus d’esprit moins sincère, ni qui eût un mépris plus complet pour la vérité. Quand je dis qu’il la méprisait, je me trompe ; il ne l’honorait point assez pour s’occuper d’elle d’aucune manière. En parlant ou en écrivant, il sort du vrai et y rentre sans y prendre garde ; unique-