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Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/222

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sa victoire du 15 mai. La ruine du commerce, la guerre universelle, la crainte du socialisme y rendaient de plus en plus la République haïssable ; cette haine s’épanchait surtout dans le secret des scrutins. Les électeurs eurent à se réunir de nouveau dans vingt et un départements ; ils choisirent en général les hommes qui représentaient à leurs yeux sous une forme quelconque l’image de la monarchie. M. Molé fut élu à Bordeaux et M. Thiers à Rouen.

Ce fut à cette époque que surgit tout à coup, pour la première fois, le nom de Louis Napoléon. Ce prince fut élu, à la fois, à Paris et dans plusieurs départements ; des républicains, des légitimistes, des démagogues, lui donnèrent leurs voix ; car la nation était alors comme un troupeau effarouché, qui court de tous côtés sans suivre aucun chemin. Je ne me doutais guère, en apprenant la nomination de Louis Napoléon, qu’un an après, jour pour jour, je serais son ministre. J’avoue que je vis rentrer les anciens chefs parlementaires avec beaucoup d’appréhensions et de regrets, non que je ne rendisse justice à leurs talents et à leur savoir faire, mais je craignais que leur approche ne fît reculer vers les montagnards les républicains modérés qui venaient vers nous. Je les connaissais, d’ailleurs, trop bien eux-mêmes pour ne pas savoir qu’à peine rentrés dans les affaires ils voudraient