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Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/262

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que j’eusse l’envie d’aller un peu me battre comme Goudchaux, mais je voulais juger par moi-même de l’état des choses, car, dans ma complète ignorance de la guerre, je ne pouvais comprendre ce qui faisait durer si longtemps le combat. Et puis, d’ailleurs, le dirai-je, une âpre curiosité se faisait jour au milieu de tous les sentiments qui remplissaient mon âme et, de temps en temps, les dominait. Je parcourus une grande partie du boulevard sans trouver de traces de la bataille, mais, à partir de la porte Saint-Denis, elles abondaient ; on marchait au milieu des débris laissés par l’insurrection dans sa retraite : des fenêtres brisées, des portes enfoncées, des maisons tachetées par les balles ou percées par les boulets, des arbres abattus, des pavés amoncelés, de la paille mêlée de sang et de boue, tels étaient ces tristes vestiges.

J’arrivai ainsi au Château-d’Eau, autour duquel était amassé un gros corps de troupes de différentes armes. Au bas de cette fontaine était une pièce de canon, qui tirait dans la rue Samson. Je crus d’abord que les insurgés y répondaient de leur côté par le canon, mais je finis par m’apercevoir que j’étais trompé par un écho qui répétait avec un fracas épouvantable le bruit de notre propre pièce. Je n’en ai jamais entendu un pareil ; on eût pu se croire au milieu d’une grande bataille. En réalité, les insurgés ne répondaient que par