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Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/285

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en fut le maître, et se substitua en réalité à elle. Cette initiative permanente dont il se trouva ainsi chargé, et la direction des débats qui lui appartenait comme président, exercèrent la plus funeste influence sur nos opérations, et je ne sais s’il ne faut pas leur attribuer principalement les vices de notre œuvre.

Ainsi que Lamennais, Cormenin avait composé et publié une constitution de sa façon et il prétendait bien, comme celui-ci, que nous l’adopterions. Mais il ne savait trop comment nous y amener. L’extrême vanité rend, d’ordinaire, très hardi à parler au très timide. Celle de Cormenin ne lui permettait guère d’ouvrir la bouche dès qu’il avait trois auditeurs. Il eût fait volontiers comme un de mes voisins de Normandie, grand amateur de polémique, mais auquel le ciel avait refusé la douceur de pouvoir disputer de vive voix : dès qu’il m’arrivait de combattre les opinions de celui-ci, il retournait chez lui à la hâte, et m’écrivait aussitôt ce qu’il aurait dû me dire. Cormenin désespérait donc de nous convaincre, mais il se flatta de nous surprendre. Il espéra nous faire admettre son système peu à peu et, pour ainsi dire, à notre insu, en nous en présentant tous les jours un petit morceau. Il fit si bien qu’une discussion générale ne put jamais s’établir sur l’ensemble de la constitution et que, dans chaque matière même, il fut presque impossible de