Aller au contenu

Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/393

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contre-coups extraordinaires dans toute l’Europe. On était généralement dans l’attente d’une nouvelle insurrection en France. Les révolutionnaires, à moitié détruits, ne comptaient plus que sur cet événement pour se rétablir, et ils redoublaient d’efforts afin d’être en état d’en profiter. Les gouvernements à demi vainqueurs, craignant d’être surpris par cette crise, s’arrêtaient avant de frapper leurs derniers coups. La journée du 13 juin fit pousser des cris de douleur et de joie d’un bout du continent à l’autre. Elle décida tout à coup la fortune, et la précipita du côté du Rhin.

L’armée prussienne, déjà maîtresse du Palatinat, pénétra aussitôt dans le Grand-Duché de Bade, dispersa les insurgés et occupa tout le pays à l’exception de Rastadt qui tint quelques semaines[1].

  1. Rien de plus misérable que la conduite de ces révolutionnaires. Les soldats, qui au commencement de l’insurrection, avaient chassé ou tué leurs officiers, lâchaient pied devant les Prussiens. Les meneurs ne surent que se disputer et se diffamer au lieu de se défendre, et se réfugièrent en Suisse après avoir pillé les caisses publiques et rançonné leur propre pays.

    Tant que dura la lutte, nous tînmes très fortement la main à ce que les insurgés ne reçussent aucun secours de la France. Ceux d’entre eux qui, en très grand nombre, passèrent le Rhin, reçurent de nous l’asile, mais furent désarmés et internés. Les vainqueurs, comme il était facile de le prévoir, abusèrent aussitôt de la victoire. Beaucoup de prisonniers furent mis à mort, toutes les libertés furent suspendues indéfiniment, le gouvernement même qu’on venait de restaurer fut tenu très étroitement en tutelle. Je m’aperçus bientôt que le représentant de la France dans le Grand-