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Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/439

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je ne pouvais donc pas imaginer la panique qui, peu après, le mit aux mains de la multitude. Je tournai à droite et revins me reposer un instant chez moi ; je n’avais pas encore mangé et j’étais épuisé. Au bout de quelques instants, Malleville me fit dire du ministère de l’intérieur qu’il était urgent de venir pour signer des dépêches télégraphiques aux départements. Je m’y rendis dans ma voiture, aux acclamations du peuple ; de là, je partis pour me rendre au château. J’ignorais encore tout ce qui se passait. Arrivé sur le quai, en face du jardin, je vis un régiment de dragons qui rentrait à la caserne ; le colonel me dit : « Le roi a abdiqué ; toutes les troupes se retirent. » Je courus ; arrivé aux guichets, j’eus grand’peine à pénétrer dans la cour, toutes les troupes sortant impétueusement par toutes les issues. J’arrivai enfin dans la cour, que je trouvai déjà à peu près vide ; le duc de Nemours y était ; je lui demandai avec instance où se trouvait la duchesse d’Orléans ; il me répondit qu’il ne le savait pas, mais qu’il croyait qu’elle était en ce moment dans le pavillon du bord de l’eau. J’y courus ; on me dit que la duchesse n’y était pas. Je forçai la porte, je parcourus les appartements, qui, en effet, étaient vides. Je quittai les Tuileries, recommandant à Havin, que j’y trouvai, de ne pas aller avec la duchesse, si on la retrouvait, à la Chambre, assemblée dont on ne pouvait rien faire. Mon intention avait été, si j’avais trouvé la duchesse et son fils, de les mettre à cheval et de me jeter avec eux dans le peuple ; j’avais déjà même fait préparer les chevaux. Ne trouvant pas cette princesse, je revins au ministère de l’intérieur ; je vous rencontrai sur le chemin, vous savez ce qui se passait au ministère. On vint m’y demander en hâte pour aller à la Chambre ; à peine entré là, les chefs de l’extrême gauche m’entourèrent et m’entraînèrent presque de force dans le premier bureau ; là, ils me supplièrent de proposer à l’Assemblée la nomination d’un gouvernement provisoire dont je ferais partie ; je les envoyai promener, et rentrai dans la Chambre. Vous savez le reste.