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Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/69

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les cris ordinaires des marchands ambulants ; devant les portes, les voisins causant entre eux, à demi-voix, par petits groupes, avec une mine effarée ; toutes les figures bouleversées par l’inquiétude ou par la colère. Je croisai un garde national, qui, le fusil à la main, marchait d’un pas pressé avec un port tragique ; je l’accostai, mais ne pus rien apprendre de lui, sinon que le gouvernement faisait massacrer le peuple (à quoi il ajoutait que la garde nationale saurait bien y mettre ordre) ; c’était toujours le même refrain ; on comprend que cette explication ne m’expliquait rien. Je connaissais trop les vices du gouvernement de Juillet pour ne pas savoir que la cruauté ne s’y rencontrait pas. Je le tenais pour un des plus corrupteurs, mais aussi un des moins sanguinaires qui eût jamais existé, et je ne rapporte ce propos que pour montrer à l’aide de quelles rumeurs les révolutions cheminent.

Je courus chez M. de Beaumont, qui logeait dans la rue voisine ; là, j’appris que, dans la nuit, le roi avait fait appeler près de lui celui-ci. La même réponse me fut faite chez M. de Rémusat, où j’allai ensuite. M. de Corcelles, que je rencontrai, me rendit compte de ce qui se passait ; mais d’une manière encore très confuse, car dans une ville en révolution, comme sur un champ de bataille, chacun prend volontiers l’incident dont il est le témoin pour