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Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/77

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se trouvait l’état-major dans lequel je reconnus, en approchant, Bedeau que son mauvais destin avait fait revenir depuis peu d’Afrique pour enterrer la monarchie. J’avais passé quelques jours avec lui à Constantine, l’année d’avant, et il en était résulté, entre nous, une sorte d’intimité qui a continué depuis. Bedeau ne m’eut pas plutôt aperçu, qu’il sauta à bas de son cheval, vint à moi et me serra la main d’une façon qui m’indiqua sur-le-champ l’agitation de son esprit. Sa conversation me le témoigna mieux encore ; je ne m’en étonnai pas, car j’ai toujours remarqué que les hommes qui perdent le plus aisément la tête et qui se montrent d’ordinaire les plus faibles dans les jours de révolution sont les gens de guerre ; habitués à trouver devant eux une force organisée et dans leurs mains une force obéissante, ils se troublent aisément devant les cris tumultueux de la multitude et à la vue de l’hésitation et quelquefois de la connivence de leurs propres soldats. Il est incontestable que Bedeau était troublé ; personne n’ignore quelles furent les conséquences de ce trouble, comment la Chambre fut envahie par une poignée d’hommes à une portée de pistolet des escadrons qui la gardaient, comment, par suite, la déchéance fut proclamée et le gouvernement provisoire élu. Le rôle que joua Bedeau dans cette fatale journée fut, malheureusement pour lui, si prépondérant que je veux m’ar-