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Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/97

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d’orateurs que d’assistants. La confusion était au comble ; dans un moment de demi-silence, Lamartine se mit à lire une liste qui contenait les noms des différentes personnes proposées par je ne sais qui pour faire partie du gouvernement provisoire qui venait d’être décrété on ne sait comment. La plupart de ces noms furent acclamés, quelques-uns repoussés par des murmures, d’autres accueillis par des plaisanteries, car, dans les scènes populaires, comme dans les drames de Shakspeare, le burlesque coudoie volontiers le terrible, les quolibets se mêlaient donc parfois aux ardeurs révolutionnaires. Lorsqu’on vint à proposer le nom de Garnier-Pagès, j’entendis une voix crier : « Vous vous trompez, Lamartine, c’est le mort qui est le bon ». On sait que Garnier-Pagès avait eu un frère célèbre, auquel il ne ressemblait guère que par le nom. M. de Lamartine commençait, je crois, à être fort embarrassé de sa position, car, dans une émeute comme dans un roman, ce qu’il y a de plus difficile à inventer, c’est la fin ; quand quelqu’un s’avisa de dire : « À l’Hôtel de Ville ! — Oui, à l’Hôtel de Ville, » répondit Lamartine, et il sortit presque aussitôt, entraînant avec lui la moitié de la foule ; l’autre resta avec Ledru-Rollin, qui, pour se conserver, j’imagine, un premier rôle, crut devoir recommencer à son tour le même simulacre d’élection ; après quoi, il partit de