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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.2.djvu/124

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MESSIANISME, DEVELOPPEMENT


résultat auquel il aboutit, savoir l’idée d’un homme paradisiaque existant dès le commencement auprès de Dieu ; car ni les littératures païennes ni les livres bibliques ne la contiennent. Comment peut-on par exemple la déduire de cette question ironique que Job adresse à Eliphaz, xv, 7, : « Es-tu né le premier homme, as-tu été enfanté avant les collines ? » Même si cette conception légendaire avait existé, elle serait vraiment bien peu apte à servir de point de départ pour la formation de l’espérance en la venue du Messie.

Malgré les côtés faibles de son système, Sellin a fait école. Son opinion est adoptée par W. Eichrodt, Die Hoflnung des ewigen Friedens im alten Israël, dans Beitrage zur Fôrderung christlicher Théologie, xxv, 3, 1920 ; W. Caspari, Die Anfànge der alttestamentlichen Weissagung, dans Neue kirchliche Zeitschrift, 1920, p. 455-481 ; L. H. K. Blecker, Over inlioud en oorsprong van Isræls heilsverwachling, 1921 ; et même, parmi les catholiques, par M. Dùrr, Ursprung und Ausbau der isrælitisch-jùdischen Heilandserwartung, 1925, p. 3873. Celui-ci l’a transformée de la façon suivante. L’événement du Sinaï ne suffirait pas pour expliquer l’origine de l’eschatologie judaïque. Comme toutes les particularités saillantes de la nation et de la religion juives, celle-ci plongerait ses racines dans la foi en Jahvé : le jahvisme serait la source du messianisme. L’idée de Jahvé, du Dieu fort et vivant, seul maître absolu de l’univers, suggérait nécessairement cette autre que lui, le Très Haut, non seulement peut gouverner tous les peuples, mais qu’il le voudra certainement un jour. Le nom de Jahvé avait donc dès le commencement « un sens fortement eschatologique », comme s’exprime Diirr à l’exemple de Blecker. En outre, Israël, comme peuple élu de ce Dieu, devait nécessairement s’attendre à un avenir privilégié. Depuis le Sinaï, Jahvé était comme le mot magique qui unissait les Israélites et les entraînait à la lutte pour leur délivrance. Le vieux chant de Débora montre déjà l’enthousiasme que la présence de Jahvé au milieu de son peuple causait chez ses adorateurs. Lorsque, après les guerres victorieuses et le règne glorieux de David et de Salomon, Israël eut cessé d’être cet État puissant et heureux auquel on s’attendait par suite de la protection de Jahvé, les regards se dirigèrent vers l’avenir — - ici Dûrr dépend de Mowinckel — et on se dit que plus tard Jahvé établirait entièrement son royaume. Dans cette perspective se développa tout cet ensemble d’espérances de l’eschatologie populaire contre lesquelles les prophètes réagirent constamment.

L’espérance générale que Jahvé devait venir pour gouverner effectivement les peuples renfermait dès le commencement l’idée d’un médiateur, d’un représentant humain. En effet, cette dernière se rencontre déjà dans les textes les plus anciens, savoir les oracles de Balaam et la bénédiction que Juda reçut de Jacob, textes qui datent du temps des Juges. L’espérance en un héros glorieux s’enracinait de plus en plus dans le cœur du peuple. Elle fut particulièrement nourrie par l’impression que causait en Israël le règne si brillant de David. Par suite surtout des antiques promesses faites à la dynastie de ce roi, on rattacha l’espérance messianique à la maison royale de Jérusalem, et on se représenta le roi eschatologique comme un second David. Pour le développement ultérieur de l’idée du Messie, Dûrr renvoie à Sellin et se contente de relever le protévangile sans cependant en préciser le rôle.

Somme toute, Dûrr reproduit sans changement essentiel le système de Sellin. Chez lui l’inconséquence est même plus grande encore. S’il est vrai que le jahvisme, c’est-à-dire l’idée d’un seul Dieu, est due à la révélation, il s’ensuit que le messianisme,

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

c’est-à-dire l’idée d’un sauveur et d’un salut futur est également de même provenance ; car le Pentateuque témoigne de l’origine surnaturelle de l’un autant que de l’autre. Toutes ces tentatives de faire dériver le messianisme uniquement du rôle que Jahvé a joué au milieu de son peuple n’ont pas de consistance.

Jahvé est donc non seulement indirectement, mais aussi directement l’auteur du mouvement messianique.

Développement.

De la discussion qui précède

sur l’origine du messianisme il résulte que cette question est étroitement liée à celle de son développement. En effet, la méthode d’après laquelle beaucoup d’auteurs tiennent à lui attribuer une formation purement naturelle et plus ou moins tardive, les amène à en imaginer un développement qui est non moins contraire à la réalité que leurs théories sur son origine. Le véritable développement de l’espérance juive se dégage de la suite historique des oracles, telle que l’établit une saine critique.

On y constate une première étape antérieure aux prophètes-écrivains. Elle s’ouvre par le protévangile qui promet à l’humanité déchue la victoire future sur le péché. Noé prévoit ensuite que Dieu entrera avec les Sémites en relation particulière. Ce privilège religieux de la race sémitique se réalise par la vocation d’Abraham et devient, conformément à la bénédiction reçue par ce patriarche, le gage d’une prospérité et d’une puissance exceptionnelle, qui doit faire un jour prévaloir les Israélites sur tous les autres peuples. Jacob prédit l’apparition d’un chef éminent qui étendra son sceptre, non seulement comme Juda sur les douze tribus, mais sur toutes les nations, et dont l’avènement marquera le commencement d’une fertilité merveilleuse du sol. Moïse n’entrevoit pas un temps nouveau et essentiellement meilleur destiné à remplacer celui qui va s’ouvrir par la conquête de Canaan : il présente l’entrée dans la Terre promise comme l’inauguration de l’état définitif des Israélites, état heureux et prospère à condition que soit observée la Loi. Il ne fait donc pas entrevoir la perspective du vrai temps messianique. David par contre, auquel Jahvé assure la durée éternelle de sa dynastie, décrit dans les psaumes n et cix l’intronisation à Sion d’un prince qui, par l’aide de Jahvé, doit gouverner tout l’univers.

A l’exception des paroles de Moïse qui n’appartiennent pas au cadre proprement messianique, tous ces oracles relatifs à l’avenir d’Israël contiennent uniquement des promesses.

Par suite, oubliant les menaces proférées par Moïse en cas d’infidélité, le peuple élu nourrissait les plus grandes espérances et s’attendait, surtout lorsque après le schisme sa situation n’était plus très brillante, à une intervention subite de Dieu qu’on appelait le « jour de Jahvé ». En face de cette mentalité, les prophètes viennent rappeler les conditions de l’alliance. Leur activité ouvre la seconde période du messianisme, qui va jusqu’à la destruction de Jérusalem. Jusqu’à cette date, tous sont unanimes à faire en premier lieu non pas des promesses, mais des menaces. Ils s’attaquent sans trêve à la conception que le peuple se faisait de la réalisation du bonheur messianique : Israël est devenu indigne de son Dieu, qui est obligé de venir en premier lieu pour le punir et le purifier. Lors du jugement, seul un petit reste survivra et verra l’accomplissement des antiques promesses.

Immédiatement après la catastrophe de 586, les prophètes changent d’attitude, une troisième période commence, caractérisée par le fait que les promesses occupent de nouveau la première place, tandis que accusations et menaces sont très rares. C’est de nouveau au peuple juif comme tel et non seulement à

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