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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.2.djvu/203

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1699
1700
MICHEL CÉRULAIRE, LES ÉGLISES ORIENTALES


les Grecs des Latins ; Pierre n’a fait que ce reproche

aux Occidentaux dans sa lettre à Dominique de Grado dont Cérulaire a eu copie (voir ci-dessus col. 1686) ; qu’il sache bien qu’il y a chez eux nombre de points à reprendre. Suivait la longue liste des abominations dont les Latins se rendaient coupables : observâmes judaïsantes, telles que les azymes et le respect du sabbat, puis, pêle-mêle, le fait de manger des viandes étoulïées, des viandes impures, de se raser la barbe, de mitiger le carême en mangeant de la viande pendant la première semaine, de mitiger l’abstinence du vendredi en mangeant œufs et fromage, par contre de jeûner le samedi ; le fait pour les moines de manger de la viande, tout au moins d’assaisonner leurs aliments à la graisse ; et dans un autre genre : le port de l’anneau par les évêques et le fait pour eux de partir à la guerre. Griefs plus sérieux : l’addition du Filioque au symbole et de la mention du Saint-Esprit dans la finale du Gloria in excclsis ; l’interdiction du mariage des prêtres ; la permission donnée à deux frères d’épouser les deux sœurs ; le fait qu’à leur messe très souvent le célébrant seul communie ; l’unique immersion (xaTaSuaiç) dans le baptême, l’emploi du sel dans les rites du catéchuménat ; le refus d’adorer (7rpocrxuv£Ïv) les reliques des saints ou même les images, de compter parmi les docteurs Grégoire le Théologien, Basile et Chrysostome ; et cette énumération, continue Cérulaire, est encore incomplète. « Des gens qui vivent ainsi, qui ont été élevés en de telles mœurs, qui ont l’audace de faire toutes ces illégalités, toutes ces incongruités, peut-on vraiment les compter comme orthodoxes, les admettre au nombre des bien pensants ? Moi, je ne le crois pas. Que ceux qui les excusent partagent leur sort ; pour nous, nous ne leur envions pas cette belle société ! » Col. 789-793.

Tel est le réquisitoire dressé par Cérulaire, en face de toute l’Église d’Orient, contre les Latins. Et sans doute le patriarche maintient encore la fiction qui distingue entre les légats et l’Église qu’ils représentent, cꝟ. 15, col. 796. Mais, de toute évidence, pardessus Humbert et ses compagnons, c’est Rome qui est visée, le Siège apostolique qui est mis en cause. Le procédé est le même qu’avait deux siècle auparavant, employé Photius. La liste des griefs s’est seulement allongée ; et tandis qu’au IXe siècle on mettait encore l’accent sur la question doctrinale du Filioque, ici ce grief paraît noyé au milieu de toutes les accusations d’ordre disciplinaire ou cérémoniel qu’a multipliées Cérulaire. Mais ce qui, à notre avis, donne à la lettre tout son intérêt, c’est l’insistance mise par Michel à accréditer cette idée que la rupture entre les deux Eglises se perd dans la nuit des temps, que c’était donc une tentative désespérée de songer à une réconciliation. Les divergences accumulées par les siècles entre Grecs et Latins sont trop nombreuses, trop graves aussi, pour qu’il y ait quelque chance de se mettre d’accord. Le rameau d’olivier que Michel agitait encore dans sa lettre au pape Léon IX, semble avoir à peu près disparu. Notons enfin la prétention à peine dissimulée de régenter les autres patriarcats, de faire enquêter par Antioche sur les pratiques d’Alexandrie OU de.Jérusalem. Cérulaire apparaît clairement en cette lettre comme le chef de l’Église grecque qu’il dresse en face de l’Église latine.

12° Dernières lueurs de paix. — L’honnête patriarche d’Antioche fut atterré de tant de violence. C’était donc à cette rupture brutale qu’aboutissaient tous tes espoirs de paix religieuse qu’il avait conçus deux ans auparavant I Les négociations n’auraient donc servi qu’à rendre plus évidente une scission dont il ne vouait pas prendre son parti !

Sa réponse à Cérulaire, qui s’est conservée, P, a.,

t. cxx, col. 796-816, est un curieux mélange de timidité et d’audace. Le patriarche commence par se faire tout petit devant son irascible collègue. Comment Cérulaire a-t-il pu croire, et sur une simple rumeur, que le nom du pape figure aux diptyques d’Antioche ? Antioche a-t-elle une autre attitude que Constantinople, et Pierre, un nourrisson de la capitale, pourrait-il oublier les privilèges de celle-ci ? Ilwç yàp ëjj.sXXov técoç aÙTOv èyà) àvaçépe’.v ràv 7rà7rav, (xrj tyjç xocrà as àyiaç’ExxXr ; a[aç àvaçepooaTjÇ oojtov, TpôcpiLtoç tov tocùt7)ç, xal ÇtjXotyjç, eî xaî tiç aXXoç, ëpyco xal Xôyco rà TaÙTYjç 7tpea6eZa ae[i.vûva>v xal LAEyaXùvcov àeî Col. 797, (C’est, on le voit, l’abdication complète des vieux droits du patriarcat apostolique ; Antioche n’est plus qu’un évêché suflragant de Constantinople.) Avec une infinie précaution, rejetant la faute sur l’archiviste, Pierre ne laisse pas néanmoins de relever la chronologie fantaisiste de son correspondant. Ce n’était pas au VIe concile que Vigile avait d’abord refusé d’acquiescer ; Vigile s’était finalement réconcilié avec les Orientaux ; c’était le pape Agathon qui avait été en relation avec le VIe concile et ces relations avaient été bonnes. D’ailleurs était-il besoin de remonter si haut dans le temps ? Quarante-cinq ans plus tôt, quand Pierre était venu à Constantinople, sous le patriarche Sergius, il avait entendu de ses oreilles le nom du pape de Rome, Jean, cité avec les autres patriarches durant les saints mystères, il avait lu ce nom, de ses yeux, dans les diptyques. Depuis, cette pratique avait cessé, sans qu’il pût dire comment, ni pour quelle cause, mais il tenait sur ce point précis à rappeler la vérité. Et, sans doute, il y avait entre Grecs et Latins de multiples divergences, mais dans la liste envoyée par Cérulaire tout n’était pas d’égale valeur ; toutes ces questions de barbe, d’anneaux, et même de graisse ou de saindoux, étaient en somme bien secondaires. Cf. n. 7-10, col. 800-804. Certains mêmes de ces griefs étaients-ils réels ? Il semblait bien difficile d’admettre que les Latins n’adorassent pas les images ou les reliques des saints. Le pape Adrien n’avait-il pas, de concert avec les autres patriarches, dirigé le VIP concile et anathématisé les iconomaques ? Ne voyait-on pas les pèlerins francs entrer dans les églises grecques et honorer les saintes images. N. 20, col. 812. Restaient des questions plus graves. Celle des azymes : Pierre en avait traité dans sa lettre à Dominique de Grado, cette lettre avait été communiquée à Cérulaire, il était inutile d’y revenir, à moins que les Latins ne justifiassent que leur usage reposait sur une tradition apostolique. La manducation de viandes non saignées était évidemment contraire au décret des apôtres, simple abus d’ailleurs, toléré plutôt que permis par l’Église latine. Après tout ne voyait-on jamais de boudins pendus aux charcuteries de Constantinople ? Le mariage de deux frères avec deux sœurs, cela ne se passait-il jamais dans l’Église grecque ? Autre chose était une tolérance tacite, autre chose une autorisation expresse. N. 16. 17. Pour la question du mariage des prêtres et sur celle plus grave encore du Filioque, le patriarche de Constantinople avait eu grandement raison d’insister : il ne fallait pas abandonner ici le témoignage des Écritures et des textes apostoliques. Encore l’attitude des Latins, au moins pour ce qui concernait l’addition au symbole, pouvait-elle se réclamer de circonstances atténuantes. Leur pays avait été longtemps au pouvoir des Vandales, aussi les copies authentiques des textes ecclésiastiques avaient pu se perdre. N. 12, col. 805. D’ailleurs, tout en restant fermement ancré sur la foi orthodoxe, ne convenait-il pas de rechercher davantage les points d’union quc les questions contestées ? Ces Latins, après tout, ils étaient des frères, quand bien même par rusticité ou ignorance ils dévieraient