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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.2.djvu/227

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tradition vivante. En mettant les choses au pire, à supposer--dato, nonconcesso--que la composition de l’Octateuque et des Évangiles doive être retardée jusqu'à la date indiquée par les critiques les plus radicaux, la ((inclusion que l’on voudrait tirer de ces faits n’est pas pour autant justifiée. Llle ne le serait que si la foi ne reposait que sur les textes écrits. Or, si c’est bien là un postulat de l’opposition protestante, le catholicisme ne l’a jamais canonisé.

Le catholicisme se fonde sur la foi de l'Église, sur son dépôt de faits et de formules révélées, transmis par les apôtres, en termes techniques, sur sa « tradition ». L'Église était une plante vivace, pourvue de ses organes essentiels, avant qu’aucun livre sacré du Nouveau Testament n’eût été, sinon composé, du moins universellement reconnu comme inspiré. Loin d'être autorisée par les Écritures, c’est elle qui les autorise. Abstraction faite de leur valeur spécifique en tant que pages inspirées, elles sont, elles aussi, des témoins authentiques de la foi primitive de l'Église et appartiennent à sa tradition. Il importe donc peu à la foi que tel évangile ou telle épître n’ait pas été rédigé par l’un des Douze, et que la date de sa composition doive être rabaissée juusqu'à la fin du premier siècle. Aucun livre du Nouveau Testament n’eût-il été écrit ou seulement tenu pour inspiré, l'Église chrétienne n’en eût pas moins été d’institution divine. « Nous ne croyons pas à l’Eglise parce que nous croyons à la Bible, mais nous croyons à la Bible parce que nous croyons à l'Église. Saint Augustin ne pensait pas autrement : Ego nec Evangelio crederem nisi catholicæ Ecclesix me commoverel auctoritas. » L'Église et la critique, p. 100.

2. Garanties de la tradition : rôle apologétique du fait » de l'Église. — Mais si la foi de l'Église a pour véhicule authentique et premier son enseignement traditionnel, antérieur à l'Écriture, qu’est-ce qui garantit d’erreur, d’altération, de déformation légendaire cette tradition ? n La tradition, objecte Emile Faguet, toujours flottante, toujours égarée en mille méandres et quelquefois très ensablée, est assiette bien mouvante et bien faible à soutenir un tel édifice. La tradition ce n’est jamais qu’une succession d’opinions dont on voit bien l’accord général, mais dont il ne faut pas beaucoup de mauvaise volonté pour démêler les discordances…. Voilà pourquoi toutes les religions ont cherché un inconcussum quid dans un texte très ancien, très court aussi… » La Repue, mai 1910, p. 02.

La garantie du témoignage que l'Église, par son enseignement traditionnel, rend au Christ, ce n’est pas l'Écriture, ce n’est pas cette tradition elle-même — on ne commet pas une telle pétition de principe, — c’est l'Église vivante, « ce prodige de l’histoire », ce miracle permanent d’aujourd’hui et d’hier qu’est l'Église catholique, supérieure à l’usure du temps, toujours en quête de nouvelles frontières, jamais abattue par ses défaites, immuable dans sa croyance, mobile dans ses adaptations opportunes aux races, aux institutions, aux formules philosophiques. « Nous croyons à l'Église…. parce que l'Église existe… L'Église se prouve elle-même, c’est-à-dire que les motifs de crédibilité les plus saisissants se tirent de sa propre existence. « L'Église et la critique, p. 101-102.

De l'Église, qui se suffit comme preuve, nous acceptons ensuite l’interprétation de sa propre tradition, c’est-à-dire les dogme S. Nous croyons à son infaillibilité parce qu’elle nous l’enseigne. Ses erreurs doctrinales engageraient la véracité même de Dieu qu] l’accrédite auprès des hommes, par le miracle providentiel de sa conservation et de ses progrès.

Ainsi Mgr Mignol répond aux critiques du xxe siècle, comme I.acordaire aux voltairiens d’il y a cent ans, par l’argument historique de l'Église. « Des

tous les arguments, écrit-il, dont nous puissions nous servir, l’argument historique sera le plus puissant, parce que, sans parler de sa nécessité intrinsèque, il est le plus approprié aux exigences de la polémique contemporaine. » Lettres sur les études ceci., p. 172. Cette méthode se rattache aux principes de saint Augustin, consacrés par le concile du Vatican (Constitution Dei Filius cap. iii, De fuie) et repris de nos jours par les abbés de Broglie et de Tourvilie.

A te premier motif de crédibilité qu’est le miracle chrétien et catholique, s’ajoute l’autre miracle historique, le « miracle juif ». Israël témoigne péremptoirement en faveur de Jahvé, Dieu unique, et du Messie futur. Les résultats actuels, fussent-ils éphémères, de la critique ont ébranlé, aux yeux de beaucoup, l’autorité de certains livres de l’Ancien Testament. Pour prendre un point de départ inattaquable, Mgr Mignot propose de s'établir sur le témoignage des prophètes. Dès leur temps, en effet, le monothéisme strict est incontestablement acquis. La comparaison de l'évolution religieuse d’Israël avec celle des peuples contemporains et environnants fait apparaître en sa faveur une transcendance tellement exceptionnelle que l’esprit non prévenu ne peut s’empêcher d’y reconnaître une intervention surnaturelle. Au reste, que l’on fasse remonter un peu plus tôt ou un peu plus tard le monothéisme et l’espérance messianique, leur caractère miraculeux n’en sera pas moins éclatant. Si, pour les besoins de l’apologétique, on se place à la période relativement tardive des prophètes écrivains, on ne renonce point par là à acquérir quelques clartés sur celle des origines. Il reste pour cela à exploiter les plus vieux récits comme des souvenirs traditionnels du judaïsme, et à en dégager le contenu général désormais garanti par la tradition postérieure. « Cette méthode, écrit Mgr Mignot, indiquée déjà par un apologiste anglais, Bruce, nous paraît de tous points excellente. » Ibid., p. 282.

3. Position à l'égard de ta critique. — La critique cependant soulève les objections en foule contre la Bible. La solution de ces difficultés n’est ni dans un concordisme forcé ni dans un rationalisme complaisant, mais dans la détermination du genre littéraire dont tel ou tel livre est justiciable.

Sur ce problème, la pensée de Mgr Mignot a marqué une notable évolution. Lu 1893, dans la préface du Dictionnaire de la Bible, il déclarait que « sacrifier la vérité historique des dix premiers chapitres de la Genèse » lui paraissait « un immense danger », et que la soumission préalable à l’autorité de l'Église infaillible était une garantie insuffisante. « Quoi qu’on en dise, ajout ait-il. on ne saura où s’arrêter. » Ce qui semble bien indiquer, à propos de ce cas particulier, une attitude tout au moins réticente. Moins de dix ans après, il reconnaissait que la critique littéraire « est la base de tous les problèmes qui s’agitent dans le monde de la critique historique ». Lettres sur les études ceci., p. 158 en noie. Il précise dans L’Eglise et lu critique.. « Due l'écrivain ail emprunté tout ou partie de so.i récit à un fond de traditions courantes… il n’en résulte pas de difficulté doctrinale. L'Église en dégage la vérité primitive et se l’assimile : elle rejette le reste. » C’est que Mgr Mignol avait mis à profil le travail de l'École de Jérusalem. Il n’en taisait pas mystère et déclarait que, par ses opinions en exégèse, il rejoignait le 1'. Lagrange, le P. Genocchi et le P. Fleming, « tous trois membres distingués de la Commission biblique ». Lettre au P. Hyacinthe, 16 mai 1907.

En résumé, Mgr Mignol se refuse à voir dans la critique une ennemie. Elle n’est redoutable que poulies confessions séparées. La foi catholique est hors de a portée ; car elle n’est pas fondée sur le livre, mais,