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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.2.djvu/24

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MESSE DANS L'ÉGLISE BYZANTINE, CONTROVERSES


D’après lui, le corps glorieux est fait d’une matière subtile et éthérée : il n’a ni chair ni os ; il est impalpable et, par nature, invisible à l'œil corporel. L'Évangile, il est vrai, par ce qu’il raconte de Jésus ressuscité, semble contredire cesafïïrmations, mais ce n’est qu’une apparence : Le Sauveur glorieux se laissa voir et toucher par ses disciples ; il mangea même devant eux ; mais ce fut par condescendance et par économie, xa~à auy)taTà6xCTt.v xxl xxT, oixovo[.ûav, c’est-à-dire par une sorte d’accommodation à la faiblesse humaine, qui ne correspondait nullement à la sublime réalité. Cf. c. xcii, Eustratiadès, t. ii, p. 418-435, qui traite, ex professo de la nature des corps ressuscites, et aussi le c. lxxxiii dont nous nous occupons.

Avec de tels principes, qui lui étaient communs avec la plupart de ses contemporains, sinon avec tous, Glykas échafaude logiquement son système. Dans l’eucharistie, après la consécration, il n’y a plus de pain, il n’y a que le corps de Jésus-Christ. Or ce corps est palpable, visible quoique sous une apparence étrangère, il est brisé, il est broyé sous la dent du communiant. Donc ; ce n’est pas un corps glorieux, impassible, immortel et incorruptible, mais un corps passible, soumis à la corruption de la mort, susceptible d'être partagé et divisé en morceaux. Tel était le corps du Sauveur, à la dernière cène. Si Jésus, dit notre théologien, avait institué l’eucharistie après la résurrection, les adversaires auraient quelque raison à faire valoir en faveur de leur opinion ; mais c’est avant sa passion, alors que sa chair était passible et allait bientôt subir la mort, qu’il livra à ses disciples les saints mystères. La consécration rend Jésus présent sur l’autel dans l'état de passibilité où il se trouvait à la dernière cène. Et cela est nécessaire pour qu’il y ait véritable sacrifice et immolation réelle ; car l’Agneau divin est réellement immolé par le prêtre, comme l’affirment les Pères et la liturgie.

Il suit de là qu'à l’autel le corps du Sauveur est réellement divisé en morceaux ; qu’il passe par une mort mystérieuse ; qu’en recevant une parcelle du pain consacré, le communiant ne reçoit pas le corps tout entier ; mais une partie du corps. Glykas ne reculait pas devant ces conséquences de son système, que lui reprochaient ses adversaires. Il insistait sur ce point que la messe est la commémoraison, le rappel de la mort du Sauveur, et non celui de sa résurrection.

Mais de même qu’après avoir été mis à mort et enseveli, le corps du Sauveur avait échappé à la corruption totale ou S'.açOopâ, et était ressuscité incorruptible, impassible et glorieux ; de même, à la messe, après l’immolation de la consécration, la division et la rupture des membres avant la communion, l’ensevelissement à la communion même, ce même corps ressuscitait mystérieusement au dedans du communiant à la vie immortelle et glorieuse, et allait se mélanger à la substance de son âme pour lui communiquer sa propre incorruptibilité : « Si le pain de la prothèse était incorruptible, le Seigneur ne dirait pas par la bouche du prêtre : Prenez, mangez : ceci est mon corps. Comment, en effet, pourrions-nous prendre et manger ce qui ne peut naturellement être tenu par les mains et broyé par les dents ? Tu parais plaisanter, ô homme, en un sujet qui ne supporte pas la plaisanterie. Lui dit : Prenez, mangez : Ceci est mon corps, et toi tu affirmes que ce qui t’est donné est supérieur à la corruption. Et comment donc pourra-t-on le prendre et le manger, si, étant incorruptible, il ne peut être pris et mangé ? Laisse-là cette fausseté. Ou ce que le Seigneur nous donne est incorruptible, et alors, nous ne mangeons pas vraiment ce que nous mangeons ; ou nous mangeons réellement sa chair et nous buvons réellement son sang, et alors il ne faut rien dire de plus… Sans

conteste possible, c’est bien la chair de celui qui a été immolé que nous mangeons ; c’est bien son sang que nous buvons, et c’est par là que nous annonçons sa mort… N’aie donc plus de doute, et ne renverse pas l’ordre : la croix et la mort précèdent ; après la mort, suit l’ensevelissement de trois jours, et après l’ensevelissement, c’est l’incorruptibilité et la résurrection de la tombe. Songe que la même suite s’observe sur le pain de la prothèse. Car, suivant Jean de Damas, il est élevé par les mains du pontife, comme sur la croix ; rompu, il est distribué ; et il est enseveli en nous, et l'économie est pour ainsi dire consommée en lui ; ensuite, il est rendu incorruptible. Et non seulement il est incorruptibilisé, mais il nous incorruptibilise nous-mêmes d’une manière merveilleuse. Apprends que lorsqu’il a été égorgé et mangé par nous, alors il passe à l'état incorruptible, et se mêle à l’essence de notre âme suivant saint Macaire l'Égyptien : tcxgtic, ouv àv-n.Xoyiaç êxxôç, tï)V adepxoc toû a'-pocyiocaOév-oç èc0to[i.sv, to aï[i.a toû acpayiaaOsvTOç 7ttvo[i.ev iç'to xat tôv 6âvaTov aùfoû xaTayyéXXofxev… 'T^oÙTat Stà twv ^etpcôv toû àp/iepécoç coç km. araupoô, xal xva>[Xevoç SiaSîSoxai xai èv rxïv GaTc-reTat, xal TeXsioOfai xair'êxeïvov zinziv r) oExovoaîoc, sÏÔ'oûtcoç àçOap-ûÇsTai. » Eustratiadès, t. ii, p. 372, 376-377.

Les mêmes idées et, çà et là, les mêmes expressions se retrouvent dans deux documents apocryphes, fabriqués, il n’y a pas de doute, à l'époque de la controverse, et qui ont exercé la sagacité de plusieurs critiques ; nous voulons parler de la fameuse Lettre de Pierre Mansour à Zacharie, évêque de Doara, et du discours inachevé du même Sur le corps immaculé du Sauveur, publiés d’abord par Pierre Plantin, à Anvers, en 1609, et insérés par Lequien au tome n des œuvres de saint Jean Damascène, P. G., t. xcv, col. 401-412. L’auteur de ce pastiche insiste surtout sur l’idée que la messe est une reproduction de toute l'économie, c’est-à-dire des mystères de l’incarnation et de la rédemption, et qu’on doit y retrouver la suite des principaux événements de la vie de Jésus, depuis sa naissance à Bethléem jusqu'à sa résurrection glorieuse.

La théorie de Michel Glykas ne souleva pas, à Byzance, la réprobation que l’on pourrait supposer a priori. Elle rencontra sans doute des adversaires résolus, mais elle recueillit aussi des adhésions illustres, et les opposants ne la réfutèrent pas avec les arguments qui viendraient naturellement sous la plume de nos théologiens. Le patriarche Georges Xiphilin, après avoir lu la dissertation du novateur, que nous avons résumée, se sentit gagné à sa thèse. Il passa le livre à Bacchus, évêque de Paphos, qui fut d’un avis contraire, et fit remarquer que la messe n’annonce pas seulement la mort du Sauveur mais aussi sa résurrection. Les théologiens se partagèrent bientôt en deux camps. Xiphilin, tant qu’il vécut, les laissa librement discuter et ne dissimula pas sa préférence pour la thèse du moine Sikiditès.

Son successeur, Jean X Camatéros (1198-1206), la favorisa encore davantage. Les partisans de l’incorruptibilité obtinrent que l’empereur Alexis III l’Ange (1195-1203) réunît un concile pour trancher le débat. Le concile, dont les Actes ne nous sont pas parvenus, se montra en majorité favorable à la thèse de l’incorruptibilité, et l’empereur pencha aussi de ce côté. Mais celui-ci n’avait ni le goût des controverses théologiques, ni la poigne d’un Manuel Comnène. Il ne prit pas résolument parti ; et comme aux arguments de la minorité les tenants de l’incorruptibilité n’opposaient guère que des textes patristiques, auxquels les autres répondaient par d’autres textes de même provenance, le concile n’anathématisa personne et se