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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.2.djvu/359

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2011
2012
MODERNISME, DÉFINITION


ainsi que, dès le premier jour, A. Loisy relevait « deux ou trois sources principales » de l’encyclique, Simples réflexions, p. 15, savoir ses propres écrits et ceux de l’ancien jésuite anglais G. Tyrrell. Non seulement cette constatation coupe court à l’échappatoire des polémistes qui ont prétendu que le modernisme était un simple mythe forgé par l’imagination de ses adversaires, mais elle fournit un point de repère à l’historien pour le saisir sous sa forme concrète. Le modernisme est à chercher dans ce mouvement de critique religieuse, dont A. Loisy en France et G. Tyrrell en Angleterre furent, de leur propre aveu, les principaux représentants.

2. Élément [isychologigue. — Des modernistes l’encyclique dit à deux reprises, édit. de la Bonne Presse, p. 4 et 14, qu’ils se donnent comme Ecclesiæ renovatores, et laisse entendre que ce « renouvellement de l’Église » tendait à la mieux adapter aux conditions modernes de la pensée et de l’action. Aucun programme, en effet, ne fut plus ouvertement affiché et ce qu’il contient de légitime, voire de nécessaire, explique la séduction qu’il put exercer en de larges milieux.

En conséquence, le concept de modernisme comporte d’abord un élément négatif, savoir la critique de ce qu’il y aurait dans l’Église de défectueux et de vieilli. Variable dans son objet avec la tournure d’esprit de chacun, cette préoccupation fut bien celle des divers groupes modernistes repérés par l’histoire. Un point commun les unissait tous, d’après A. Loisy, op. cit., p. 141, savoir « la nécessité d’une réforme de l’enseignement catholique ».

Mais il faut ajouter que cette « réforme » devait se produire dans l’Église et à son profit. Le modernisme doit être compris comme un essai d’apologétique. Lu fait, au lieu de rompre avec le catholicisme, quelle que fût la somme de libertés qu’ils prenaient à son égard, nos modernistes faisaient profession d’y être, pour leur compte personnel, fidèlement attachés. De même leur pensée allait à l’apologie de l’Église contre l’individualisme protestant. Aussi P. Sabatier, Les modernistes, p. 41, pouvait-il présenter le mouvement comme <> une renaissance catholique ».

Dans ses tendances générales, le modernisme se présente comme un effort de catholiques pour régénérer l’Église en la rajeunissant.

3. Élément doctrinal.

On n’a rien fait cependant, si l’on n’arrive à spécifier ce principe par le mode très particulier de son application. Au lieu d’un vague modernisme théorique, l’Église a visé, de fait, un ensemble de positions suffisamment fermes pour dessiner les grandes lignes d’un système.

Le système se caractérise d’abord par sa tournure proprement spéculative. Les réformes d’ordre pratique ou administratif dont l’encyclique fait état ne tiennent visiblement en celle-ci qu’une place accessoire, tandis que la plus grande partie est consacrée à la doctrine moderniste. Cette doctrine elle-même ne touche pas les rapports de l’Église avec la vie morale, politique ou sociale, mais ses principes dogmatiques : ce qu’il s’agirait de moderniser », c’est la conception et la structure même de la foi.

Mais cette entreprise de rénovai ion prend la physionomie d’une révolution. D’un mot qui a fait fortune, l’encyclique définit le modernisme, p. 61, comme le « rendez-vous de toutes les hérésies ». C’est dire qu’il s’affirme comme une rupture avérée avec la tradition catholique sur des points que l’Église considère comme essentiels. D’où cette définition concrète donnée par L. de ( iiandniaison, dans les Études, 1923, t. clxxvi, p. 644 : « Est moderniste celui qui eut relient

la donlile conviction : I" que, sur des points définis, intéressant le fond doctrinal ou moral de la religion

chrétienne, il peut y avoir des conflits réels entre la position traditionnelle et la moderne ; et 2° que, dans ce cas, c’est le traditionnel qui doit être adapté au moderne, par voie de retouche et, au besoin, de changement radical ou d’abandon. »

Tout en ayant des répercussions sur l’ensemble du dogme chrétien, le modernisme a pour trait spécifique d’ébranler les notions primordiales qui en sont le fondement. « Ce n’est pas aux rameaux ou aux rejetons qu’ils ont mis la cognée, est-il dit de ses partisans, p. 5, mais à la racine même, c’est-à-dire à la foi et à ses fibres les plus profondes. » De fait, les principales erreurs qui leur sont reprochées portent sur la manière même d’atteindre Dieu et la valeur de la connaissance que nous en pouvons obtenir, sur les concepts de révélation, de foi et de dogme, sur le rôle de l’Écriture, de la tradition et de l’Église dans l’origine et le développement de notre doctrine et de notre vie religieuses. Au lieu d’une vérité objective, garantie par la raison et la foi, tout est ramené au subjectivisme : ce qui entraîne pour conséquence l’évolutionnisme indéfini des formules et des idées. Les autres hérésies ont intéressé tel ou tel article de la dogmatique spéciale : le modernisme touche à l’ensemble de la théologie fondamentale pour la bouleverser.

De ces trois éléments, le premier n’a, de toute évidence, qu’une valeur extrinsèque pour situer le modernisme dans son cadre, tandis que les deux derniers en précisent le concept. Ils sont l’un par rapport à l’autre comme le genre et l’espèce, également indispensables à ce titre pour une définition correcte. L’idée générale qu’il faut se faire du modernisme est celle d’un mouvement doctrinal qui aboutissait à saper les fondements objectifs du dogme catholique, sous prétexte de le moderniser.

Le terme.

Pris au sens qui vient d’être défini, « modernisme » et « moderniste » parurent tout d’abord

des néologismes de circonstance. Autant que la chose, l’autorité ecclésiastique fut souvent accusée d’avoir inventé le mot. Ces deux termes ont néanmoins une assez longue préhistoire, qui n’offre d’ailleurs qu’un intérêt de curiosité.

1. Usage profane.

Jusqu’ici le plus ancien témoin connu de l’adjectif « moderniste » est Luther, qui s’en servait à l’adresse des nominalistes. Requête aux magistrats… d’Allemagne (1524), dans Luthers Werke, éd. de Weimar, t. xv, p. 53. Il ne semble d’ailleurs pas avoir survécu en Allemagne, ni dans ce sens polémique, ni dans un autre.

Au contraire, depuis le XVIe siècle, il est courant en Angleterre, où l’on voit aussi apparaître, au xiu% le substantif modernisme. Voir les textes dans J. Murray, A new english diclionary, Oxford, 1908, t. vi b, p. 573-574. L’un et l’autre sont de simples noms communs, qui s’emploient au sens étymologique sans aucune nuance doctrinale.

En France, la qualification de « modernistes » est infligée par J.-.I. Rousseau à certains matérialistes de son temps. Lettre du 15 janvier L76f », dans Œuvres complètes, Paris, 1821, t. xxii, p. 134. D’où le mot, avec cette citation à l’appui, est passé dans Littré et Larousse, pour dire, en général, « celui qui estime les temps modernes au-dessus de l’antiquité ». La transition du terme concret au terme abstrait était des plus naturelles. En tout cas. les deux se rencontrent assez souvent dès la fin du xix° siècle et le début du xx" pour traduire, en bien ou en mal, la recherche de la nouveauté.

2. Usage religieux. - Appliqué au christianisme, qui repose sur la tradition, » modernisme » ne pouvait guère que prendre une nuance défavorable. De fait, ce terme et ceux de sa famille ne sont entrés dans la langue religieuse qu’à titre polémique, pour flétrir ce