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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.2.djvu/402

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MOLINISME, LA QUESTION AVANT MOLINA


mais il ne se fait pas, dans l’application, une idée très claire de cette prescience, qu’il confond souvent avec la science de vision.

Fonseca, vers 1565, définit le caractère propre de la science moyenne, antérieure aux décrets divins, la défend par des arguments empruntés aux Pères et aux théologiens, et l’utilise pour expliquer la Providence et la prédestination. Schneemann, p. 178-179. Ainsi se trouvent rassemblés les éléments du système théologique dont Molina sera le principal metteur en œuvre et auquel restera attaché son nom.

III. L'ÉCOLE DOMINICAINE DE SALAMANQUE ET

les idées de Banez. — Les dominicains avaient eu, à Salamanque, toute une lignée de maîtres illustres. François de Victoria fondateur d'école, y avait enseigné vingt ans († 1546). Ses successeurs, Melchior Cano (1546-1552), puis Dominique Soto (1552-1560), avaient été des thomistes fervents, sans cependant se croire obligés de suivre leur maître pas à pas et en tous points. Avec Pierre de Sotomajor (1560-1563) et avec Barthélémy de Médina s’esquissa un mouvement de retour vers un thomisme plus rigide, qui trouva sa formule définitive chez Dominique Banez.

La liberté, expliquait Victoria en 1539, consiste à pouvoir ne pas agir, quand on agit, et à pouvoir agir, quand on n’agit pas. La volonté a, vers sa fin, une inclination naturelle qui lui vient de Dieu ; mais elle choisit elle-même librement les moyens. Elle est donc mue ab extrinseco vers sa fin ; mais elle est libre de vouloir ou non cette fin et de poser les actes qui y conduisent. Cela est vrai dans l’ordre surnaturel comme dans l’ordre naturel. Si la volonté agit, Dieu coopère à son acte. La conversion est libre ; « l’infusion de la grâce dépend donc de ma liberté ; Dieu nous meut librement, puisque nous pouvons résister à cette motion divine ». Cf. textes inédits, cités par Schneemann, Controv., p. 117-123.

L’homme, disait Melchior Cano, est cause de sa propre vie surnaturelle, il est l’auxiliaire de Dieu dans sa génération spirituelle, parce qu’il réalise en luimême les dispositions qui le préparent à recevoir la grâce sanctifiante. De locis theol., t. XII, c. xiii, éd. de Cologne, 1605, p. 686.

Soto écrivait, dans son De natura et gratia, t. I, c. xv, composé pendant le concile de Trente, que la liberté consiste en ce que la volonté n’est pas déterminée ; et se demandant pourquoi, en définitive, lorsque Dieu est également prêt à convertir deux hommes, il entraîne l’un (trahal) et non l’autre, il répondait : « on n’en peut donner d’autre raison, sinon que l’un donne son consentement, et l’autre pas s. Cette phrase lui ayant valu le reproche d’avoir trop accordé à la liberté, il maintenait que, « si notre consentement n’est pas cause de la prédestination, il est néanmoins d’une certaine façon cause matérielle de la justification. » In IV Sent., sub fine, p. 962.

Est-ce par vénération pour saint Thomas, que Pie V proclama docteur de l'Église en 1567 ? Est-ce par réaction contre l’orientation prise par la Compagnie de Jésus ? Toujours est-il que les maîtres dominicains de Salamanque craignent, après Soto, d’exagérer le pouvoir de la liberté. Les œuvres naturelles, explique Médina, ne sont pas une préparation positive à la grâce et un mérite de congruo ; elles ne sont qu’une disposition négative. Encore cette disposition n’est-elb pas nécessaire : il arrive que Dieu accorde son secours, alors qu’elle fait défaut. In /a™-// 88, q. cix, a. 6.

Baiïez, qui vient ensuite, homme tout d’une pièce, esprit rigoureux, tempérament ardent, ne craint pas de se retourner contre ses prédécesseurs, dont plusieurs ont été ses maîtres, et de les accuser d' « erreurs étonnantes, inintelligibles, inextricables ». Il en trouve la raison dans ce fait que les Victoria, les Cano, les Soto

ont voulu concilier saint Thomas et Scot « comme le font communément les modernes ». Comment, in 11°™II 3 *, q. xlii, a. 6. Pour lui, il veut faire retour à saint Thomas et pourfendre quiconque trahit sa pensée. Et voici, d’après son commentaire sur la Somm, I a q. i-lxiv ; IF-II 33, q. i-xlv, paru à Salamanque en 1584, comment il la comprend.

Il part de ce principe que, Dieu étant cause de tout l'être, rien n’arrive sans qu’il en soit lui-même cause. « Dieu, dit-il, détermine toutes choses et n’est déterminé par rien ; nulle cause seconde ne peut agir, si elle n’est efficacement déterminée par lui ; mais son concours actif ne peut être déterminé ab extrinseco. De ce que Dieu veut une chose, on peut conclure que nécessairement elle arrive, dans le temps et de la manière qu’il le veut. Cela est vrai, même de tout acte libre, même du péché considéré dans son être et non dans sa malice. Le secours divin est cause efficace de la grâce et de la conversion ; le refus de secours efficace est cause de la non conversion, parce qu’il s’ensuit nécessairement que l’homme ne se convertira pas. Dieu connaît donc les futurs contingents dans leurs causes, en tant que celles-ci sont déterminées par la cause première : il connaît les péchés futurs dans leur cause, en tant que celle-ci n’est pas déterminée par la cause première à bien agir. »

Comment cette doctrine laisse-t-elle place à la liberté humaine ? Banez répond par une distinction entre sens composé et sens divisé. De ce que, au sens composé, l’homme ne peut faire pénitence sans un secours spécial de Dieu, il ne s’ensuit pas que si, Dieu ayant décidé de ne pas lui donner ce secours, il ne fait pas pénitence, cela ne lui sera pas imputé : pouvoir faire pénitence et faire pénitence sont deux dons distincts ; le premier suffit pour créer l’obligation. La liberté a sa source dans un jugement ; elle consiste dans le choix des moyens par rapport aux fins, objets de la volonté. Les desseins immuables de Dieu ne lient pas notre jugement ; ils ne détruisent donc pas la liberté de nos actes.

Quant à la prédestination et à la réprobation, ce sont des actes de la volonté divine, des décrets de Dieu décidant d’accorder à ceux-ci et de refuser à ceux-là les secours efficaces, pour manifester sa miséricorde ou sa justice. Les effets de la réprobation : permission de la faute, abandon du pécheur, exclusion du ciel, n’ont entre eux aucune relation de cause à effet ; il ne faut pas leur chercher de raison dans l’homme ; tous ensemble, ils sont des moyens en vue de la fin voulue par Dieu : la manifestation de sa justice.

Telles étaient les idées de Banez, dont il importait de donner ici un résumé pour mieux faire comprendre, par contraste, celles de Molina. Prédétermination et science moyenne s’affronteront en des conflits doctrinaux qu’envenimeront, trop souvent, le sentiment et la passion.

IV. Le procès de Valladolid.

Depuis 1577,

Banez enseignait à Salamanque. Il venait de succéder depuis un an à Barthélémy de Médina dans la chaire de Prime à la faculté de théologie de l’université, quand eut lieu sa première intervention retentissante.

Ce fut à l’occasion d’un exercice scolaire : une « dispute » publique, tenue le 20 janvier 1582, sous la présidence de son ami, le mercédaire François Zuniel. Le jésuite, Prudence de Montemayor, soutint que, si le Christ avait reçu de son Père le précepte de mourir, il ne serait pas mort librement, et que par suite il n’aurait pas mérité. Banez intervint avec vivacité ; et ce fut l’occasion de discuter longuement des questions de la prédestination et de la justification ; d’autant qu’un autre maître, l’augustin Louis de Léon, intervint en faveur du jésuite. Trois séances eurent lieu, dont la dernière se tint le 27 janvier. Après quoi,