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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.2.djvu/412

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MOLINISME, LA SCIENCE DIVINE


l’interprétation de Cajétan, de Capréolus, de Sylvestre de Ferrare, etc. Saint Thomas explique, par cette présence en Dieu selon leur existence, la connaissance divine des futurs contingents ; et la prescience s’accorde, croit-il, avec la contingence, parce que le futur, présent au regard divin, n’en est pas moins contingent par rapport à ses causes.

Mais, remarque Molina : 1° Dieu connaît des futurs contingents qui n’ont jamais été et ne seront jamais réalisés, qui n’existent donc pas non plus dans l'éternité ; 2° Il se connaît naturellement lui-même, et il connaît en lui tout ce qu’il contient éminemment ; donc, avant toute détermination de sa volonté, du fait de sa science naturelle, il sait ce que la volonté libre de chaque créature fera librement dans telles et telles circonstances, s’il la crée ; 3° Il ne reçoit pas des choses la connaissance qu’il en a ; leur existence, soit dans le temps, soit dans l'éternité, n’est donc pour rien dans sa connaissance certaine de ce qui sera et de ce qui ne sera pas ; 4° la providence et la prédestination supposent une prescience certaine, antérieure à l’existence de quoi que ce soit.

Pour toutes ces raisons, il faut admettre que Dieu ne connaît pas seulement avec certitude les futurs contingents, parce que les choses existent hors de leurs causes dans l'éternité, mais qu’avant d’avoir réalisé quoi que ce soit (avant, selon notre façon de parler), il connaît en lui-même tous les futurs que toutes les causes secondes réaliseraient, librement ou non, avec son concours, s’il établissait tel ordre de choses et de circonstances. Donc, par le fait même qu’il a décidé de créer le monde comme il l’a fait, il a su en lui-même et par son décret tout ce qui sera ou ne sera pas réalisé par les causes secondes.

D’autre part : 1° puisque la science que Dieu a des choses ne dépend en rien de leur existence, inutile de penser que les choses existent dans l'éternité avant de se succéder dans le temps, ce qui paraît difficilement conciliable avec la contingence et la liberté ; 2° puisque les futurs contingents ne sont dans l'éternité que par l'être qu’ils auront dans le temps, il faut avouer qu’ils sont contingents dans l'éternité, jusqu'à ce qu’ils soient réalisés dans le temps. L'éternité est au temps ce qu’est le centre à la circonférence ; mais la ligne du temps est inachevée, elle s’arrête au présent, et le rapport du centre avec la partie non tracée est contingent ; 3° si tous les futurs étaient présents à Dieu selon leur existence propre, il y aurait en lui en ce moment une infinité de choses réalisées, ce qui paraît absurde et contradictoire.

Ces remarques permettent d’affirmer que la présence de toutes choses en Dieu ne suffit ni à expliquer la certitude de la prescience des futurs contingents, ni à concilier la contingence avec la prescience. En définitive, la science que Dieu a des futurs contingents n’est pas une science de vision, aussi longtemps qu’ils n’existent pas réellement dans le temps, mais seulement une science de simple intelligence ; si on peut l’appeler science de vision, c’est parce qu’elle est éternelle et qu’il arrivera un moment où elle coexistera avec les futurs réalisés dans le temps. (Q. xiv, a. 13, disp. XL IX, p. 286-296.)

b) Par les idées. - Saint Bonaventure In Ium (dist. XXXIX, a. 2, q. ni) affirme que Dieu connaît avec certitude les futurs contingents par les idées de toutes choses qu’il a en lui ; opinion que Cajétan et d’autres prêtent aussi à saint Thomas. Scot, par contre, soutient que Dieu ne peut connaître dans les idées que des possibles, et que les futurs contingents ne lui sont connus avec certitude que dans la libre détermination de sa volonté ; théorie plus que dangereuse, qui supprime la liberté, et qu’un disciple de saint Thomas a attribuée à son maître.

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

Selon Molina, avant toute détermination de sa volonté. Dieu connaît par ses idées ou son essence toutes les natures contingentes, non seulement comme possibles mais encore comme futures, quoique cette dernière connaissance soit conditionnelle, liée qu’elle est à l’hypothèse de la création de tel ou tel ordre de choses et de causes, dans telles ou telles circonstances. Lorsque survient la détermination de sa volonté, sa connaissance des futurs devient absolue. Mais cette détermination volontaire n’est pas, comme pour Scot, celle par laquelle il inclinerait et déterminerait la volonté créée à agir dans tel ou tel sens, c’est celle par laquelle il décide de créer la volonté libre dans tel ou tel ordre de choses et de circonstances. La volonté créée agira librement ; mais Dieu la connaît si bien, qu’il sait avec certitude ce qu’elle fera dans les circonstances où il voit qu’elle se trouvera. En ce sens, les idées ou l’essence divine sont l’objet primaire dans lequel Dieu connaît avec certitude les futurs contingents. Il les connaît aussi secondairement dans leurs causes secondes. (Q. xiv, a. 13, disp. L, p. 297-304.)

3. Conciliation de la liberté et de la contingence avec la prescience. — La plupart des théologiens : Guillaume d’Auxerre, Gilbert de la Porrée, saint Bonaventure, Scot, Occam, etc., s’appuient sur ce fait que la réalisation des futurs contingents dépend de la volonté libre, pour affirmer que l’accord de la liberté et de la prescience provient de ce que la science divine se modèle, pour ainsi dire, sur les décisions futures de la volonté libre. Dieu, disent-ils, sait de science nécessaire ce qui arrivera nécessairement, et de science libre ce qui arrivera librement. Les propositions : « ce que Dieu prévoit se réalisera », « ce qui arrivera, Dieu l’a prévu comme il arrivera », sont nécessaires au sens composé, non au sens divisé ; comme la proposition : « ce qui courra sera nécessairement en mouvement ». Leurs deux termes sont nécessairement liés, mais la contingence de l’un entraîne celle de l’autre. La prescience divine s’accorde avec les futurs contingents parce que, quoique fasse la volonté libre, Dieu fera en sorte de n’avoir pas prévu autre chose.

Ces théologiens prétendent concilier de même la liberté avec la prédestination et la réprobation. Il est vrai, au sens composé, disent-ils, que « le prédestiné sera nécessairement sauvé » et que « le réprouvé sera nécessairement damné » ; mais malgré cela, au sens divisé, le prédestiné peut être damné et le réprouvé peut être sauvé, parce que si, comme ils sont libres de le faire, le prédestiné refusait de prendre les moyens nécessaires pour être sauvé et le réprouvé prenait les moyens nécessaires pour obtenir la vie éternelle, Dieu ferait en sorte que le premier n’ait pas été prédestiné ni le second réprouvé.

Pour justifier cette explication, les uns accordent à Dieu un pouvoir actuel sur le passé, même par rapport aux effets déjà réalisés dans le temps. D’autres, avec Occam, Biel, Antoine de C.ordoue et les « nominaux », placent ce pouvoir sur le passé dans l’acte éternel de Dieu, c’est-à-dire dans la science et la volonté divines, en tant qu’elles ont pour objet les futurs contingents comme objets connus, voulus ou permis : ce n’est pas, disent-ils, parce que Dieu prévoit ces futurs qu’ils arriveront ; mais c’est parce qu’ils seront librement réalisés par les créatures qu’il les prévoit. Saint Bonaventure et Scot, suivis par beaucoup d’autres, allèguent une idée toute différente et qui paraît plus probable : l’acte de libre volonté divine, disent-ils, et par conséquent la science libre de Dieu relativement aux futurs contingents, ne porte pas sur le passé ; elle se réalise dans le présent indivisible de l'éternité, lequel correspond tout entier à l’ensemble du temps, passé, présent et futur.

X.

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