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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.2.djvu/434

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MOLINISME, CONGRÉGATIONS DE AUX1LI18, P AUL V


b) Dans le débat sur la science moyenne qui occupa rois séances, les 27 oct., 9 nov. et 6 déc. 1604, le

P. Bastida, S. J., fit remarquer que chaque hérésie soulève dans l'Église de nouvelles questions, et que c’est pour cela, sans doute, que « l’antique vérité de la science moyenne » a été invoquée récemment, à l’occasion du calvinisme, pour concilier l’infaillibilité de la grâce avec la liberté. Il s’efforça ensuite de démontrer ces trois points : 1. Dieu connaît tous les futurs conditionnels. 2. Il en a une connaissance certaine et infaillible. 3. Cette connaissance certaine et infaillible est antérieure au décret absolu de la volonté divine.

Thomas de Lemos, au contraire, prit à cœur de détruire la science moyenne, « base de toute la doctrine de Molina ». Il exposa d’abord en quoi consiste cette science, puis entreprit de prouver, par un syllogisme, que saint Augustin l’a toujours combattue et réfutée : « Saint Augustin, dit-il, dans sa lutte contre les Pélagiens, n’attaque rien plus qu’une certaine prescience par laquelle Dieu connaîtrait le bien que fera la volonté libre laissée à ses seules forces naturelles, sans que Dieu lui donne ou lui accorde de le faire ; or, par science moyenne, Molina entend précisément une prescience de ce genre ; donc saint Augustin ne combat rien tant que la science movenne » (Serry, col. 419).

Ces plaidoyers et les discussions auxquelles ils donnèrent lieu amenèrent les censeurs à porter les jugements suivants : 1. Il n’y a pas en Dieu, avant le décret de sa volonté, une connaissance certaine et infaillible des futurs contingents dépendant des causes libres, telle que Molina la lui attribue par la science moyenne. Cette science n’est pas conforme à la doctrine de saint Augustin ; elle est plutôt opposée à celle qu’il a enseignée contre les pélagiens et les semi-pélagiens. Elle entraîne beaucoup d’inconvénients et d’absurdités contre la philosophie et l’ancienne théologie, et même contre les principes de la foi. Il importe donc au plus haut point qu’elle soit absolument détruite. 2. Il y a cependant une science certaine et infaillible par laquelle Dieu connaît les futurs contingents dépendant des causes libres, qui arriveront certainement si telles conditions sont données (Serry, col. 422 et 425).

c) La discussion sur la prédestination, qui se greffa sur la précédente, amena les censeurs à conclure, le 5 janvier 1605, que « la prédestination se fait par un décret unique et absolu de Dieu décidant de donner à ceux qu’il a choisis la gloire et les moyens de l’obtenir » ; que « telle est la doctrine de saint Augustin » ; etque » Molina s’en est écarté dans sa Concordia, en faisant consister la prédestination, non dans un décret absolu de Dieu, mais dans le choix d’un ordre de choses » (Serry, col. 430).

d) Sur la question du bon usage des secours divins, discutée à la 67e réunion, les censeurs déclarèrent, par jugement du 22 janvier 1605 : « Selon saint Augustin, le bon usage des secours divins provient de la grâce ; selon Molina, il provient de la seule liberté innée » (Serry, col. 434).

5. Intervention du cardinal du Perron et mort de Clément VIII. — -A cette dernière discussion, le 21 janvier, avait assisté un cardinal français dont l’influence était considérable. Le chapeau qu’avait reçu l’année précédente Jacques Davy du Perron, était la récompense des services qu’il avait rendus à l'Église, soit en travaillant à la conversion du roi Henri IV et en négociant sa réconciliation avec le Saint-Siège, soit en menant victorieusement contre l’hérésie calviniste, dans laquelle il était né, des controverses retentissantes. Il venait d’arriver en Italie, comme chargé des affaires de la France, avec mission d’intervenir

dans le débat sur la grâce. Il ne s’en fit pas faute, et son avis fut à coup sûr d’un grand poids aux yeux de Clément VIII qui avait en lui la plus entière confiance.

La querelle, que nous avons vu s'étendre et diviser, non seulement les ordres religieux mais les universités, avait pris jusqu'à un certain point un caractère politique. L’Espagne s'était prononcée pour les frères prêcheurs, qui depuis si longtemps faisaient sa gloire et qui lui avaient rendu tant de services dans le passé. La France, alors en lutte contre sa voisine, devait être assez naturellement portée à prendre contre elle le parti des jésuites. Mais ce n’est certes pas ce vain motif de réaction qui porta Henri IV et son représentant à intervenir. Ils faisaient face, eux, à l’hérésie qui avait déchiré le royaume : ils se rendaient compte qu’une décision favorable aux dominicains mettrait en joie calvinistes et luthériens de France et d’Allemagne, qui verraient là un argument en faveur de leurs propres doctrines et un affaiblissement pour leurs plus dangereux adversaires ; ils sentaient d’autre part le préjudice moral que portait au catholicisme, la lutte si âpre qui s’exaspérait de jour en jour. Voilà pourquoi Henri IV avait recommandé à son représentant de travailler à la réconciliation des parties, et pourquoi du Perron, sans suivre l’invitation de Bellarmin qui le pressait de s'élever contre la prédétermination physique, donna au pape le conseil de ne pas prendre parti dans la controverse sur la grâce. Voir art. Du Perron, t.iv, col. 1953.

Une congrégation devait avoir lieu le 12 février, sur la nature de la grâce efficace d’après saint Augustin. Selon le désir des dominicains, elle devait clore les discussions. Mais la séance ne put se tenir parce que le pape était malade. Quelques semaines plus tard, le 5 mars, Clément VIII expirait, sans avoir eu le temps de trancher le grand débat auquel il avait consacré tant de soins et de peines.

Quelle eût été sa décision ? Les dominicains assurent que, malgré l’intervention de du Perron, elle leur eût été favorable (Serry, col. 442-448). Les jésuites soutiennent qu’ils se trompent : l’exemplaire de le concordia que Clément utilisa, et que son neveu le cardinal Aldobrandini donna à leur bibliothèque de Rome, porte, disent-ils, plus de 80 notes marginales qui tendent, pour la plupart, à justifier l’auteur de l’accusation de pélagianisme et de semi-pélagianisme (L. de Meyer, p. 533-534). Quoi qu’il en soit, beaucoup de partisans de Molina virent, dans la mort prématurée de Clément VIII, une intervention providentielle : ne réalisait-elle pas une prophétie de Bellarmin, d’après laquelle ce pape ne trancherait jamais la controverse ; s’il le tentait, il rendrait l'âme avant d’avoir achevé de parler ?

2° Sous Paul Y (1605-1606). — 1. La réouverture des congrégations. — Dix ans de discussions passionnées avaient à ce point lassé la chrétienté, qu’avantde procéder à l'élection d’un nouveau pape, le collège cardinalice avait exigé, à l’unanimité, de chacun de ses membres, le serment de mettre fin rapidement aux controverses sur la grâce, s’il était élu. Alexandre Médicis ( Léon XI) étant mort dans le mois qui suivit son élévation à la papauté, les cardinaux choisirent pour lui succéder Camille Borghèse, l’ancien assistant de Clément VIII dans les congrégations antérieures (16 mai 1605).

Paul V se mit bientôt à l'œuvre, pressé d’ailleurs par les rois d’Espagne et de France. Bellarmin, fixé de nouveau à Borne, commença par proposer de définir vingt propositions qui tiendraient les fidèles également éloignés des erreurs de Pelage et de Calvin ; mais Thomas de Lemos, qui eut connaissance du projet le 4 juin 1605, s’empressa de dénoncer la « déficience »