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maire pour deux ans ; Montaigne regagna la France à cette nouvelle. Réélu pour deux années encore le 31 juillet 1583, il connut de vilains jours en raison des conflits religieux du temps et de la peste qui ravagea Bordeaux de juin à décembre 1585. Absent de Bordeaux à ce moment, il évita d’aller transmettre ses pouvoirs à son successeur. Cf. A. Grûn, La vie publique de Michel de Montaigne, in-8°, Paris, 1855. Il erra pendant six mois avec les siens. Enfin, rentré dans son château, il reprit son travail, et en 1588 il donnait une nouvelle édition des Essais considérablement augmentée. Il fit alors un assez long séjour à Paris ; il y rencontra Mlle de Gournay, son admiratrice, qu’il appellera bientôt sa fille d’adoption, et à qui il confiera le soin de donner l’édition définitive des Essais. Cf. Bonnefon, op. cit.

A son retour, il assista à Blois, le 15 octobre 1588, à l’ouverture de ces États généraux où deux mois après le duc de Guise était assassiné. Il ne devait plus ensuite sortir de son château. Catholique, mais fidèle au roi et d’ailleurs très attaché à Henri de Navarre, il reconnut ce prince, aussitôt après l’assassinat de Henri III, mais, par amour du repos et aussi à cause de sa santé, il refusa tout service auprès de lui. Il mourut pieusement tandis qu’un prêtre disait la messe en sa chambre.

II. Les essais.

Il y a plusieurs textes des Essais : 1° texte de 1580 : Essays de messire Michel, seigneur de Montaigne, chevalier de l’ordre du roi et gentilhomme ordinaire de sa chambre, in-8°, Bordeaux ; 9-1 essais formant deux livres. Ce texte a été réimprimé dans l’édition Dezeimeris et Barckhausen, 2 in-8° Bordeaux, 1870 ; 2° texte de 1588 : Essays de Michel, seigneur de Montaigne, cinquième édition, augmentée d’un troisième livre (13 essais) et de six cents additions aux deux premiers, in-4°, Paris ; réimprimé dans l’édition Motheau et Jouaust, 7 in-16 ou 4 in-8°, Paris, 1872-1880 ; 3° texte de 1595, texte de Mlle de Gournay et de P. de Brach, in-folio, réimprimé dans l’édition Motheau et Jouaust et dans l’édition Courbet et Royer, 5 in-8°, 1872-1879. C’est le texte de 1588, avec plus de 250 additions, réparties sur les trois livres, surtout dans le troisième, mais n’ajoutant rien d’essentiel ; 4° texte de 1802 : en 1802, Naigeon donna une nouvelle édition des Essais, 4 in-12, Paris ; c’est le texte de 1588 avec des notes de la main de Montaigne, mais différentes des notes de l’édition Gournay. Le manuscrit de ce texte est à la bibliothèque municipale de Bordeaux. Cf. Strowski, Essais. Reproduction en phototypie de l’exemplaire avec notes manuscrites marginales appartenant à la ville de Bordeaux, 3 in-4°, Paris, 1912.

L’évolution des Essais.

Les Essais ne constituent

pas en effet un livre, conçu d’un bloc et méthodiquement composé. C’est un recueil de faits, d’apophtegmes et de sentences, d’expériences personnelles aussi, destiné à résoudre les questions morales qui se posent devant l’homme. Ce genre, mis à la mode par Érasme, et qui convenait si bien aux érudits et humanistes du temps, permettait de développer à volonté et de se reprendre facilement. A ce point de vue les lissais de 1588 sont les plus importants ; par certains aspects ils diffèrent profondément des Essais de 1580, et les éditions postérieures ne seront guère que des compléments. Cf. P. V’illey, Les sources et l’évolution des Essais de Montaigne, 2 in-8°, Paris, 1908 ; V. Giraud, Les époques de la pensée de Montait/ne, dans Revue des Deux Mondes, 1° février 1909, p. 623-659.

La morille des Essais.

Les Essais sont donc

des leçons de morale, non sous la forme abstraite et ingrate de la scolastique, mais sous la forme concrète de l’histoire et des expériences humaines racontées ou

condensées en maximes. Ce ne sont pas davantage des leçons de morale chrétienne. Montaigne a trop les tendances et les aspirations d’une époque que passionne l’antiquité et pour laquelle un évoque, Amyot, traduit les Vies et les Œuvres morales de Plutarque. S’il utilise parfois des historiens proches de lui, cf. Villey, Les livres d’histoire moderne utilisés par Montaigne, in-8°, Paris, 1908, les faits passés qu’il raconte, il ne les emprunte pas à l’histoire sainte ou à la vie des saints, mais à l’antiquité païenne ; les sentences qu’il invoque il ne les demande que rarement aux livres sapientiaux ou à l’Évangile, cf. Villey, Les sources, p. 78-79 ; la plupart du temps, c’est aux sages antiques. Il lit les Latins dans leur langue, les Grecs dans des traductions. Cf. Zangroniz, Montaigne, Amyot et Saliat, Paris, 1906. « Son lot véritable dans ce large mouvement (de la Renaissance), dit M. Villey, ibid., p. 6, a été d’acclimater la morale païenne en France. » Ses Essais ont donc été une véritable vulgarisation de la morale antique.

Il n’a pas toutefois servilement réveillé une morale particulière. A proprement parler il ne fut ni stoïcien ni épicurien. Certains chapitres des Essais, les premiers composés, sont un cours de stoïcisme, mais d’un stoïcisme modéré, nullement exclusif, ni purement livresque. A ce moment, Montaigne s’essaie encore. Sur le stoïcisme de Montaigne, cf. la controverse entre M. Strowski qui dans son Montaigne philosophe, 1906, croit au stoïcisme de Montaigne, et le D’Armaingaud qui le nie et affirme que Montaigne a toujours été épicurien, Revue politique et parlementaire, septembre 1907 ; réponse de M. Strowski, puis réponses du D r Armaingaud dans le Censeur politique et littéraire, octobre 1907, février 1908. Voir aussi Zanta, La renaissance du stoïcisme au XVI’siècle, in-8°, Paris, 1914. Mais une évolution s’est faite dans la pensée de Montaigne ; cette pensée s’est affranchie ; Montaigne a pris conscience de sa personnalité ; et, à la lumière de l’antiquité et de sa propre expérience, il expose sa manière à lui de concevoir la vie. Cette manière est d’un épicurien qui entend suivre la nature au sens où les épicuriens l’ont toujours entendue, c’est-à-dire, rechercher le plaisir et fuir la douleur. Pas d’ascétisme : c’est contre la nature ; pas d’impassibilité stoïcienne : ce n’est qu’une attitude d’orgueil. Mais c’est un épicurien intelligent et bien élevé, celui que le xviie siècle va appeler < l’honnête homme » ; il sait non seulement que certains excès se paient, mais que les plaisirs sont de qualités bien différentes, que si le sentiment de l’obligation ne doit pas nécessairement dominer la vie, la conscience satisfaite offre néanmoins des joies précieuses, enfin que, s’il est contraire au bonheur individuel de se dépenser pour autrui, du moins certains beaux sentiments ont leur prix. La morale est ainsi l’art de vivre heureux, basé sur la connaissance de soi-même et la culture du moi, tel qu’il est par nature.

L’apologie de Raymond Sebon.

La partie la

plus importante des Essais est V Apologie de Raymond Sebon, t. II, c.xii, d’où est venue à Montaigne la réputation de sceptique et de pyrrhonien. Cf. Entretien de Pascal avec M. de Sacy.

Sebon, un Espagnol, professeur de médecine, de philosophie et de théologie à Toulouse, où il mourut en 1432, avait écrit, on l’a VU, une Theologia naturulis, qui avait paru à Deveiiler en 1487 et avait été plusieurs fois rééditée en la liii, Jusqu’au jour où Montaigne la traduisit en fiançais, 1569. Comme l’indique le titre donné par Montaigne à sa traduction, Sebon, après Raymond Lullé et Nicolas de Cuse, prétendait démontrer rationnellement, avec les arguments « le son temps,

les vérités de la foi sans exception, tout comme si elles étaient de l’ordre naturel. Cf. Compayré, De Rai-