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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.2.djvu/544

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MONTESQUIEU
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accumulé beaucoup de faits, mais sans assez de critique et dans un cercle restreint. Puis, s’il est exagéré de dire que dans l’Esprit des lois, il appliqua la méthode cartésienne et, travaillant sur des idées, s’imagina enfermer la réalité, cf. Lanson, Revue de métaphysique et de morale, 1896, p. 540-546, il faut reconnaître qu’il n’employa pas toujours la méthode positive et comparative voulue. Cf. Dedieu, Montesquieu, p. 90. Enfin le livre n’a pas une composition classique. Montesquieu fut plus d’une fois écrasé sous la masse des faits qu’il classe en plus de 500 chapitres et en 31 livres. Sainte-Beuve signale « un certain embarras d’ordonnance », loc. cit., p. 60. Mais ses admirateurs le défendent de désordre. Cf. Barckhausen, Le désordre de l’Esprit des lois, op. cit., p. 254 sq.

Après avoir défini les lois en général ou les « rapports nécessaires qui dérivent de la nature même des choses », t. I, c. i, les lois de la nature » qui dérivent uniquement de la nature de notre être », c. ii, et les lois positives, lois civiles et politiques, qui ne doivent être que les cas particuliers où s’applique la raison humaine en tant qu’elle gouverne tous les peuples de la terre, c. iii, il étudie les législations qui assurent dans les divers pays l’organisation et la défense de l’ordre social et aussi la liberté de l’individu, 1. II-XIII. Ces législations s’expliquent par la forme du gouvernement, par le climat, 1. XIV-XVII, par la nature du terrain, t. XVIII, et aussi par l’esprit général que créent toutes ces causes, 1. XIX.

Ici commence une seconde partie moins bien agencée. Montesquieu, dans le texte primitif, la faisait précéder d’une invocation aux Muses qu’il supprima sur la demande de Vernet. Dans cette partie, il étudie les faits sociaux, le commerce, 1. XX et XXI, la monnaie, t. XXII, la population et sa source, la famille, t. XXIII, la religion, principe de morale, 1. XXIV et XXV, et les rapports des lois avec ces faits. Cf. Barckhausen, loc. cit., p. 264-265.

Le succès de ce livre de sociologie fut grand non seulement auprès des intellectuels, mais auprès des petits-maîtres et dans les salons féminins qui y retrouvaient ici et là les détails risqués des Lettres persanes et « de l’esprit sur les lois », comme dira Mme du Deffand. Il eut, en 18 mois, 22 éditions et fut bientôt traduit dans toutes les langues. La première traduction fut anglaise : The spirit of laws trunslaled by M. Nugent, Londres, 1752.

Sur les modifications que Montesquieu apporta dans la suite à sa première rédaction, cf. Barckhausen, L’Esprit des lois et les archives de La Brède, in-8°, 1004.

4° Autres œuvres. — A sa mort Montesquieu laissait des œuvres qui ont été publiées depuis : Essai sur le goût, 1766 ; Lettres familières à des amis d’Italie, publiées par l’abbé de Guasco, Florence, 1767 ; Arsace et Isménide. histoire orientale, éditée par J.-B. de Secondât, Londres, 1783 ; Œuvres posthumes, Londres, 1783 ; Deux opuscules, publiés par le baron de Montesquieu, 1801 ; Mélanges inédits, publiés par le même, 1892 ; Voyages, publiés par le baron Albert de Montesquieu, 2 vol. 1804-1806 ; Pensées et fragments inédits. .., publiés par le baron Gaston de Montesquieu, 2 vol. 1800-1000. La Correspondance publiée dans les Œuvres, même dans l’édition Laboulaye, t. vii, est incomplète. On en a entrepris la publication totale. Cf. Correspondance publiée par François Gebelin,

2 in-8°, 1010.

Les Œuvres complètes de Montesquieu ont été publiées pour la première fois par Bicher, désigné pour cela par la famille de l’auteur, et sous ce titre : Œuvres de M. de Montesquieu, nouvelle édition, revue, corrigée et considérablement augmentée, publiée par F. Richer,

3 in-4°, Amsterdam, 1758 : Londres 1767 ; Amster dam, 1777. Plusieurs éditions ont été publiées depuis. La meilleure est celle de Laboulaye : Œuvres complètes… avec les variantes des premières éditions, un choix des meilleurs commentaires et des notes nouvelles, 7 in-8°, Paris, 1875-1870. Cf. L. Dangeau (Vian), Bibliographie des œuvres de Montesquieu. Dès 1777 paraissait en 4 volumes à Londres une traduction anglaise des Œuvres complètes.

IL Idées. — Quand on parle des idées de Montesquieu, il s’agit surtout des idées de l’Esprit des lois. L’auteur est alors en pleine maturité, le sujet l’oblige à penser toujours. Évidemment il est demeuré lui-même, tel que l’ont fait la culture humaine et antique si profonde qu’il a reçue, l’esprit de son temps, le temps de la Bégence, rationalisme et sensualisme, puis et bien plus que la formation professionnelle du juriste, foi en la science, c’est-à-dire, confiance dans les seuls faits et persuasion que tout a ses causes naturelles et saisissables. Mais l’on constate en certains points une évolution, des Lettres persanes à l’Esprit des lois, parfois provoquée par certaines lectures et jusqu’à la fin il reviendra sur les idées. Cf. Barckhausen, Montesquieu, l’Esprit des lois et les archives de La Brède, Bordeaux, 1004.

Idées politiques.

Montesquieu distingue, incomplètement

d’ailleurs, trois formes de gouvernement : la république, la monarchie et le despotisme, et dans chacune, la nature et le principe.

La république met le pouvoir aux mains du peuple, c’est alors la démocratie, ou d’une partie du peuple, c’est l’aristocratie. Le principe ou le ressort de ce gouvernement — et Montesquieu n’en parle que d’après Athènes et Borne — c’est la vertu. Dans les démocraties, la vertu est l’amour de la patrie jusqu’au renoncement à soi-même et aussi de l’égalité et ele la frugalité, t. III, c. v ; t. IV, c. v ; t. V, c. m. Ici une condition de bonheur est la médiocrité générale dans les talents et dans les fortunes, t. V, c. m. Le législateur doit y veiller aux mœurs publiques. Où meurt le renoncement, meurt la vertu républicaine et naît l’anarchie, d’où le despotisme, t. VIII, c. n et m. Dans les aristocraties, la vertu est surtout de l’esprit de modération qui y remplace l’esprit d’égalité et « tout doit y être organisé de façon à diminuer l’inégalité », t. II, c. m ; t. V, c. vin ; t. VIII, c. v.

La monarchie est l’empire d’un seul, mais selon des lois fondamentales et avec « des pouvoirs intermédiaires subordonnés et dépendants » et avant tout la noblesse : « Point de monarchie, point de noblesse », mais aussi, « point de noblesse, point de monarchie… on a un despote » ; puis le clergé et enfin un corps de magistrats chargés de garder les lois et de les rappeler au prince, t. II, c. iv, autrement dit, un parlement d’Ancien Bégime. Le ressort ici est l’honneur ou « le préjugé de chaque personne et de chaque condition », ou encore l’amour « des prééminences et des distinctions. Philosophiquement parlant, c’est un honneur faux », mais il « peut inspirer les plus belles actions et conduire les gouvernements comme la vertu même », t. IV, c. n ; t. III, c. viii.

Le despotisme, que Montesquieu conçoit uniquement sous la forme vulgaire prêtée au despotisme oriental, est le pouvoir d’un seul, sans limites, sans règles, sans autre force que lui-même. Naturellement, il ne peut vivre et agir que par la crainte.

Où vont les préférences de Montesquieu ? Il hait le despotisme ; cf. Lettres persanes, lettre lxxxi ; il craint de voir la monarchie française sombrer dans l’arbitraire ; il aime la liberté. Un temps, il avait beaucoup admiré le gouvernement républicain, mais il le voyait à travers les livres concernant les républiques antiques et. après ses voyages à travers l’Italie et en Hollande, il écrira : « l.a démocratie et l’aristo-