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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.2.djvu/546

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MONTESQUIEU
« Chose admirable ! La religion chrétienne, qui ne

semble avoir d’objet que la félicité de l’autre vie, fait encore notre bonheur dans celle-ci. » Ibid., c. m. L’État qui combattrait la religion ferait donc œuvre antipolitique et antisociale : « M. Bayle flétrit la religion chrétienne, il ose avancer que le véritable chrétien ne formerait pas un État qui pût subsister. Pourquoi non ? Les chrétiens seraient des citoyens infiniment éclairés sur leurs devoirs et qui auraient un très grand zèle pour les remplir- » Ibid., c. v.

En revanche au t. XXV, il condamne toujours le célibat ecclésiastique pour ses suites fâcheuses, c. iv ; il demande aux lois de limiter le droit qu’a le clergé de posséder, c. v ; il condamne l’intolérance qui s’exerce au nom du droit souverain de la vérité, dans la « très humble remontrance aux inquisiteurs d’Espagne et d’Italie », c. xiii, mais la tolérance doit être limitée. L’État est juge : quand on est maître de recevoir dans un État une nouvelle religion, il ne faut pas l’y établir ; quand elle est établie, il faut l’y tolérer, c. ix ; cꝟ. t. XII, c. v, et Faguet, La politique comparée de Montesquieu, Rousseau et Voltaire, Paru, 1902, p. 174.

Les idées sociales.

Ce n’est pas encore le temps

de l’humanitarisme et des théories égalitaires qu’émettront les philosophes de la seconde partie du xviiie siècle. Toutefois, Montesquieu, amené à parler de l’esclavage, s’exprime déjà dans le même sens. Dans les Lettres persanes, il s’étiit moqué des princes chrétiens qui abolissaient l’esclavage dans leurs États, et le maintenaient ou l’établissaient dans leurs colonies. Lct. lxxv. Dans l’Esprit des lois, le ton s’élève. Vers 1735, un économiste bordelais, Jean Melon, avait publié un Essai sur le commerce où il soutient que l’esclavage n’est ni contre la religion, ni contre la morale. Juristes et économistes étaient de son avis. Montesquieu, lui, condamne l’esclavage parce qu’il n’est utile ni à l’esclave ni au maître qu’il entraîne à la volupté et à la férocité, parce qu’aussi il est contraire à l’égalité naturelle, t. XV, c. n. Toutefois il admet des justifications locales ou passagères de l’esclavage ; le climat, le despotisme ; ibid., c. vu et viii. Plus tard répondant à des objections de l’ordre économique qui justifiaient l’esclavage, il le condamnera nettement, complètement, d’après le droit supérieur de tout homme à la liberté. Cf. dans l’édition de 1757, le chapitre ix ajouté ; Russell Parson Jameson, Montesquieu et l’esclavage, Paris. 1911.

Jugeant impossible la paix perpétuelle dont l’abbé de Saint-Pierre s’était fait le prophète, Montesquieu rêve un droit des gens basé sur ce principe, que les diverses nations doivent se faire dans la paix le plus de bien, et dans la guerre le moins de mal possible. Il faut d’ailleurs éviter la guerre si l’on peut : le meilleur moyen est d’aimer la justice et de recourir à l’arbitrage. Cꝟ. t. I, c. ii et m.

On a parlé du socialisme de Montesquieu, mais c’est uniquement en ce sens que Montesquieu fait passer parfois les droits de la société avant ceux de l’individu, ainsi à propos du Paraguaꝟ. t. IV, c. ci, et qu’il juge l’État obligé de s’occuper de l’individu malheureux et de lui dispenser l’aumône et le travail, t. XXIII, c. xxix.

Idées économiques.

Malgré le titre d’un livre,

Montesquieu économiste par Ch. Faubert, Paris, 1901, Montesquieu n’est pas un véritable économiste. Il partage sur le luxe les idées que Mandeville avait mises à la mode. Mais il s’embarrasse quand il applique les théories aux trois formes de gouvernementIl tient pour le système prohibitif et dit que « la liberté du commerce en serait la servitude », t. XX, c. n.

III. Influence.

Montesquieu n’eut pas la popularité de Voltaire et de Rousseau. Ni les sujets qu’il traita, en dehors des Lettres persanes, ni sa manière

ne l’appelaient. Du monde qui pense il n’obtint pas non plus une approbation unanime.

Il trouva particulièrement des censeurs religieux. Cf. Laboulaye, Criliqwet défenses de l’Esprit des lois, Œuvres de Montesquieu, t. vi, p. 95-331.

Ce fut le Journal de Trévoux, avril 1749, qui donna le signal ; son attaque est modérée. Mais les Nouvelles ecclésiastiques des 9 et 16 octobre 1749 sont violentes. Elles l’accusent entre autres d’indifférentisme : toutes les religions se valent, de spinozisme : il soumet Dieu à des lois ; cf. Oudin, Le spinozisme de Montesquieu, in-8°, Paris, 1311 ; elles lui reprochent d’attribuer au climat le monachisme sans distinction, le suicide où il sévit, la polygamie ; d’admettre le divorce ; d’affirmer que le catholicisme convient surtout à la monarchie ; d’attribuer à l’orgueil la conversion de certains peuples idolâtres ; de faire l’éloge du stoïcisme, de la tolérance, de prôner la religion naturel ! ’qui n’est pas une religion. Et elles ajoutent : « L’ouvrage n’est pas moins contraire aux saines maximes du gouvernement temporel qu’à la religion de Jésus-Christ », Laboulaye, loc. cit., p. 137, et elles concluent, ibid. : « On fera brûler par la main du bourreau les Nouvelles ecclésiastiques, dont le but unique est de confirmer les hommes dans la possession des vérités qui font également et le vrai chrétien et le vrai sujet du roi, et on laissera débiter un malheureux écrit qui apprend aux homme ; à regarder la vertu comme un mobile inutile dans les monarchies et toutes les religions, même la véritable, comme une affaire de politique, une pure suite du climat. »

Cet appel non déguisé aux rigueurs officielles inquiéta Montesquieu qui publia une Défense de l’Esprit des lois à laquelle on a ajouté quelques Éclaircissements, Genève, 1750, s. n. d. a. La Défense répondait aux deux articles des Nouvelles. Elle faisait remarquer que VEspril des lois disait, non ce qui devait être, mais ce qui était ; puis discutait une à une les objections particulières. Cf. Laboulaye, loc. cit., p. 140203. Les Éclaircissements répondent au Journal de Trévoux. Ibid., p. 204-208.

Ce journal répliquera en février 1750 par une seconde lettre sans intérêt. Les Nouvelles des 24 avril et 1 er mai 1750 publieront une Réponse à la Défense de l’Esprit des lois, p. 209-267, où elles maintiennent leurs attaques », auxquelles, disent-elles, Montesquieu n’a pas répondu, en particulier le reproche de spinozisme » et pour finir elles attaquent les Lettres persanes. Ibid., p. 209-237.

Voltaire alors se jeta dans la lutte. Dans son Remerciement à un homme charitable, ibid., p. 239243, il attaque à sa manière le gazetier ecclésiastique, surtout à propos du reproche de spinozisme et des attaques contre la religion naturelle. Puis intervint le protestant La Baumelle par une Suite de la Défense de l’Esprit des lois ou examen de la Réplique du gazelier ecclésiastique à la Défense. A Berlin, 1752, s. n. d. a, que les Nouvelles ecclésiastiques du 4 juin attribueront à Montesquieu. Ce dernier s’en défendra dans une Lettre du 27 février 1753 sur une feuille in-8°, imprimée ibid., p. 247-312. La Baumelle critiquait en même temps une petite critique de 44 vers intitulé » L’Esprit des lois en vers, qui circulait beaucoup et qui était de Bonneval. On y lisait : < Le sol est la cause première de nos vices et de nos vertus. Néron, dans une autre hémisphère, aurait peut-être été Titus. »

D’autres critiques de même ordre, avaient paru alors ou parurent ensuite ; entre autres : 1° Remarques sur quelques parties de l’Esprit des lois, de Dupin, fermier-général, Paris, 1749. Ce livre, très annoncé, fut presque aussitôt retiré par son auteur, mais pour reparaître, refondu avec l’aide des jésuites Plesse