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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.2.djvu/672

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MYSTIQUE, DESCRIPTION, S. FRANÇOIS DK SALES


l’époque, où les écrits de la Doclora d’Avila se sont répandus parmi les théologiens catholiques. Ces écrits, en effet, tranchent sur ceux des mystiques plus anciens, et même de saint Jean de la Croix qui se rattache plutôt à eux, comme le remarquait très justement dom Mager : personne avant elle n’avait aussi bien fait toucher du doigt, par la netteté de ses descriptions, la différence entre les consolations goûtées par les débutants dans leurs méditations, et les douceurs de l’oraison « surnaturelle ». Ce sont précisément ces descriptions qui, en rendant impossible la confusion entre les deux, ont posé le problème dans toute son acuité… Sainte Thérèse reste au centre du débat et le domine : d’une façon plus ou moins consciente et plus ou moins claire, ce qu’on cherche c’est ceci : y a-t-il entre ces oraisons surnaturelles décrites par la sainte, et les oraisons plus ou moins discursives ou simplifiées de la vie spirituelle courante, une simple différence de degré, ou une vraie différence d’espèce ? » 8° Saint François de Sales.

C’est aux livres VI

et VII du Traité de l’amour de Dieu que saint François de Sales disserte de la « théologie mystique ».

Il l’identifie avec l’oraison : « l’oraison et la théologie mystique ne sont qu’une mesme chose » ; et la définit « une conversation par laquelle l’ame s’entretient amoureusement avec Dieu de sa tres-aimable bonté pour s’unir et joindre à icelle ». L. VI, c. i. C’est une conversation et non un monologue : « que si l’oraison est un colloque, un devis, ou une conversation de l’ame avec Dieu, par icelle donc nous parlons à Dieu, et Dieu réciproquement parle à nous ; nous aspirons à luy et respirons en luy, et mutuellement il inspire en nous et respire sur nous. » Ibid. « Or elle s’appelle mystique, parce que la conversation y est toute secrette, et ne se dit rien en icelle entre Dieu et l’ame que de cœur à cœur par une communication incommunicable à tout autre qu’à ceux qui la font. Le langage des amans est si particulier que nul ne l’entend qu’eux-mesmes… Où l’amour règne, on n’a pas besoin du bruit des paroles extérieures, ny de l’usage des sons pour s’entretenir et s’entr’ouyr l’un à l’autre. » Ibid. « En la théologie mystique, c’est le principal exercice de parler à Dieu et d’ouyer parler Dieu au fond du cœur : et parce que ce devis se fait par de très-secrettes aspirations et inspirations, nous l’appelons colloque de silence ; les yeux parlent aux yeux, et le cœur au cœur, et nul n’entend ce qui se dit que les amans sacrez qui parlent. » Ibid.

La méditation est le « premier degré de l’oraison ou théologie mystique », c. n. Les chapitres suivants sont consacrés à la contemplation, et à ses différences avec la méditation : « Nous méditons pour recueillir l’amour de Dieu, mais l’ayant recueilli nous contemplons Dieu et sommes attentifs à sa bonté pour la suavité que l’amour nous y fait trouver. Le désir d’obtenir l’amour divin nous fait méditer, mais l’amour obtenu nous fait contempler ; car l’amour nous fait trouver une suavité si agréable en la chose aimée, que nous ne pouvons assouvir nos esprits de la voir et considérer. » C. m. Le but de la contemplation est la jouissance de Dieu : « l’amour ayant excité en nous l’attention contemplative, cette attention fait naistre réciproquement un plus grand et fervent amour, lequel enfin est couronné de perfections lorsqu’il jouyt de ce qu’il aime. » Ibid. C’est cette jouissance de Dieu qui constitue 1’ « expérience » mystique : « cette jouyssance produit un amour bien plus vif et animé que ne fait la simple cognoissance du discours : car l’expérience d’un bien nous le rend infiniment plus aimable que toutes les sciences qu’on en pourrait avoir. Nous commençons d’aimer par la cognoissance que la foy nous donne de la bonté de Dieu, laquelle par après nous savourons et goustons par l’amour…

Celuy-là (le théologien Ocham) le cogneut mieux par science, ce ! le-cy (sainte Catherine de Genne) par expérience. » C. iv C’est ce qu’on appelle « trouver Dieu » : « La contemplation a tousjours cette excellence, qu’elle se fait avec plaisir, d’autant qu’elle présuppose que l’on a trouvé Dieu et son sainct amour, qu’on en jouyt, et qu’on s’y délecte en disant : J’ay trouvé celuy que mon ame chérit ; je l’ay trouvé et ne le quitteray point. » C. vi. « On a trouvé Dieu et son sainct amour, on en jouyt et on s’y délecte » ; « nous savourons et. goustons (Dieu) par l’amour » ; et ainsi nous le connaissons « par expérience » : qu’y a-t-il là de mystique ? Cela est essentiellement mystique pour saint François de Sales, parce que cela est un don de Dieu ; il le montre dans les deux premiers chapitres du livre VIL II s’agit d’un amour passif, d’une « passion d’amour », pour employer le langage de saint Jean de la Croix. « Soit doneques que l’union de nostre ame avec Dieu se fasse imperceptiblement, soit qu’elle se fasse percepliblement. Dieu en est toujours l’auteur, et nul ne peut s’unir à luy. s’il ne va à luy : nul ne peut aller à luy, s’il n’est tiré par luy. » L. VII, c. ni. « L’ame, amorcée des délices de ses faveurs, … recognoist bien que son union et liaison à cette souveraine douceur dépend toute de l’opération divine, sans laquelle elle ne pourroit seulement pas faire le moindre essay du monde peur s’unir à icelle. » L. VII, c. i. Les comparaisons employées ici par saint François de Sales ne laissent aucun doute sur ce point. Et de même le progrès de notre amour et de notre union, s’il résulte parfois de notre coopération, ne se réalise jamais sans celle de Dieu : « Quand, suivant ses attraits imperceptibles, nous commençons à nous unir à luy (activement), il fait quelquefois le progrez de nostre union, secourant nostre imbécillité, et se serrant sensiblement luy-mesme à nous, si que nous le sentons qu’il entre et pénètre nostre cœur par une suavité incomparable. Et quelquefois aussi, comme il nous a attirez insensiblement à l’union, il continue insensiblement à nous aider et secourir. Et nous ne sçavons comme une si grande union se fait, mais nous sçavons que nos forces ne sont pas assez grandes pour la faire, si que nous jugeons bien par là que quelque secrette puissance fait son insensible action en nous. » C. n. On remarquera, au passage, que saint François de Sales regarde le « sentiment de la présence de Dieu » comme une inférence.

Ce point mis en lumière et l’origine divine du « sainct amour » nettement affirmée, saint François de Sales ne verra plus guère dans beaucoup de phénomènes mystiques que des conséquences « naturelles ». psychologiques ou physiologiques, de cet amour envahissant, si bien qu’il ne s’étonnera pas de leur trouver des analogues profanes.

1. « Du recueillement amoureux de l’ame en la contemplation », t. VI, c. vu. — Il s’agit bien du recueillement qualifié par « la bienheureuse mère Thérèse de Jésus », de « surnaturel », qui « ne gist pas en nostre volonté, ains nous advient quand il plaist à Dieu de nous faire cette grâce. » Or il s’explique naturellement, même sous sa forme la plus profonde, par cette loi psychologique : « rien n’est si naturel au bien que d’unir et attirer à soy les choses qui le peuvent sentir, comme font nos âmes, lesquelles tirent tousjours et se rendent à leur thresor, c’est-à-dire à ce qu’elles aiment. » C’est ce qui advient quand « Nostre-Seigneur respand imperceptiblement au fond du cœur une certaine douce suavité qui tesmoigne sa présence ; lors les puissances, voire mesme les sens extérieurs de l’ame, par un secret consentement, se retournent du costé de cette intime partie où est le tres-aimable et très-cher espoux. » « En somme tout ce tecueillement se fait