Aller au contenu

Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.2.djvu/678

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
2649
2650
MYSTIQUE. EXPLICATION DES PHÉNOMÈNES


i’Église catholique dans l’appréciation des états de ce genre. Sans doute, elle en admet, d’une manière générale, la possibilité et même l’existence. Mais comment va-t-elle diagnostiquer les cas concrets ? Leur mécanisme ne l’intéresse pas… Les degrés mystiques furent-ils pour un pieux personnage une échelle de sainteté ? Sont-ils conformes à l’idéal évangélique ? L’Église approuvera, convaincue que tout effet bon et salutaire fut secondé par la grâce divine. » Ibid., p. 256. « Il pe s’agit donc pas tant pour l’Eglise de déclarer, par l’examen psychologique des phénomènes subis par le sujet, que Dieu est intervenu ici ou là, à coup sûr, et de statuer scientifiquement sur le mode mystérieux de ses communications. Non ! elle laisse là-dessus une grande latitude aux systèmes d’explication. Ce dont elle juge, c’est de l’effet produit, l’accroissement des vertus et la sainteté morale. » J. Pacheu, L’expérience mystique et l’activité subconscient*, p. 156.

Aussi les auteurs catholiques se montrent-ils fort réservés lorsqu’il s’agit de formuler des conclusions sur le caractère surnaturel, et donc sur la « vérité », de telles ou telles expériences mystiques. « Dans son Épilogue, do m Butler se demande si les prétentions des mystiques, à savoir qu’à certains moments… l’âme est en relation intime et immédiate avec Dieu, si ces prétentions sont fondées. Il avoue que les mystiques catholiques se trouvent en assez mauvaise compagnie et qu’il semble qu’au premier aspect, à la question ainsi posée, on devrait répondre videtur quod non. Mais (en mettant à part tous les faux mystiques), il nous reste un bon nombre de témoins dont le témoignage semble irrécusable… Ce qu’ils affirment avoir éprouvé, cette union de leur âme avec Dieu, n’est contraire ni à l’enseignement du Nouveau Testament, ni à celui de la théologie, ni même à celui de la philosophie naturelle. Les conséquences de cette doctrine, non seulement n’ont pas abouti au quiétisme, dans les vrais mystiques, mais elles les ont élevés, purifiés, sanctifiés. Tout cela ne semble pas illusion. » Revue d’ascétique et de mystique, 1923. p. 386. Conclusion bien modeste et qui laisse la porte ouverte à l’hypothèse qu’on exclut. M. Bremond n’en dit pas davantage : « Je n’ai pas à démontrer scientifiquement la valeur du témoignage des mystiques. Pour ma part, leur seule histoire m’assure que dans l’ensemble ils ne peuvent être ni des simulateurs ni des visionnaires. » Hist, lilt. du sentiment religieux, t. ii, p. 587.

Nous n’en pouvons rester à ce jugement sommaire, à ces présomptions du caractère surnaturel des expériences mystiques de nos saints même les mieux équilibrés. Le surnaturel ne se préjuge pas, il se prouve. « Affirmer que de tels effets, irréductibles aux lois psychologiques, existent, vu que Dieu existe, ou nier qu’il en existe, parce que Dieu n’existe pas ou parce qu’il ne peut modifier le cours des lois communes, ce sont là manifestement deux apriorismes philosophiques, à écarter également. Toute la question est une question de fait. En existe-t-il ? » Pinard, op. cit., t. ii, p. 339.

Et nous devrons nous montrer sévères dans la critique des expériences mystiques, pour ne point fournir occasion, ainsi que s’exprimait saint Thomas, Summi theoi, I 1, q. xi.vi, a. 2, au sourire des iniidèles, si nous nous contentions de preuves insuffisantes. Peut-être, sûrement même, devrons-nous en cette matière, réviser nos jugements à la lumière des progrès incontestables des sciences psychologiques, et renoncer à considérer comme surnaturels des faits que nous avions jusqu’ici tenus pour tels : « cette science (la psychologie) reste sur son propre terrain, en essayant d’évaluer dans les phénomènes religieux ce qui est explicable par des causes toutes naturelles. Cette recherche est particulièrement utile, en un domaine

où la prudence avertit que bien des illusions sont à redouter, chez les théoriciens comme chez les simples : il est trop flatteur et il n’est que trop aisé de s’imaginer en relation intime, constante ou du moins fréquente avec des êtres supérieurs ou divins. » Pinard, loc. cil., p. 336 ; les pages qui suivent donnent quelques exemples des réductions opérées par la psychologie contemporaine dans le domaine du mystique.

Ce qui nous met à l’aise c’est que, dussions-nous en fin de compte renoncer à discerner sûrement de vrais phénomènes mystiques, théoriquement ni pratiquement nous n’y perdrions rien. Nous pouvons donc entreprendre sans crainte l’examen des explications naturelles qui ont été données des phénomènes mystiques, et des critères qui ont été apportés pour le discernement de la mystique « divine » ou surnaturelle.

II. TOUS LES PHÉNOMÈNES MYSTIQUES S’EXPLI-QUENT-ILS PAR DES CAUSES S AT V PELLES ? — On

ne peut contester la justesse des exigences formulées au sujet de cette question par J.-II. Leuba, Psychologie des phénomènes religieux. La lâche de la psychologie dans l’élude de la vie religieuse, p. 318325 : « Si des facteurs suprahumains s’exercent dans l’expérience humaine, il n’y a d’autre moyen de les découvrir que les moyens de la science. » P. 289. « Il est naturellement possible d’affirmer théoriquement la présence dans l’expérience religieuse d’éléments psychologiques spéciaux et de formes de conscience spéciales », p. 318 ; « ce sont là des possibilités, mais, notons-le bien, c’est à la science qu’il appartient de démontrer que l’une quelconque de ces possibilités est devenue, à un moment particulier, une réalité… Qui donc est autorisé à faire la distinction entre ce qui est humain et ce qui est suprahumain ?… Si quelqu’un est autorisé à faire la distinction en question, c’est le psychologue. Si quelqu’un peut indiquer les points où des facteurs inconnus interviennent dans le système psycho-physiologique, c’est lui. » P. 320321.

Or Leuba ajoute : « dans les vies religieuses accessibles au psychologue, il ne s’est rien trouvé qui oblige à reconnaître des influences suprahumaines. Il n’y a rien, par exemple, dans la vie de la grande mystique espagnole — pas un désir, pas un sentiment, pas une pensée, pas une vision, pas une illumination — qui puisse faire songer sérieusement à des causes transcendantes. » P. 323. Voilà le problème nettement posé. La solution en est-elle aussi simple que l’affirme notre psychologue ?

Donnons-nous du large d’abord : nous ne sommes pas tenus de reconnaître le caractère surnaturel de tous les phénomènes mystiques que présentent les biographies des mystiques orthodoxes. « L’Église n’est pas suspecte de complaisance exagérée pour les visionnaires. .. et elle se montre d’une extrême prudence en ce qui touche l’appréciation des révélations privées, qui sont comme le contenu des visions et des paroles surnaturelles… Aussi bien les révélations privées fourmillent d’erreurs : beaucoup se contredisent entre elles ; la plupart sont, au témoignage de Benoît XIV, citant Lancicius, parsemées d’hallucinations, magnis hallurinutionibus respersse… » Montmorand, op. cit., p. 109110. « Pratiquement, pour les personnes qui ne sont pas arrivés à une haute sainteté, on peut, sans imprudence, admettre que les trois quarts au moins de leurs révélations sont des illusions. » Poulain, Des grâces d’oraison, 5° édition, 1906, p. 317. Cf. Revue d’ascétique et de mystique, 1923, p. 388, une déclaration du Saint-Office du 31 mai au sujet de « phénomènes de bilocation, de cures réputées miraculeuses et de stigmatisation » présentés par le P. Pio da Petïalcina.

Certains théologiens vont très loin dans la voie des