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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 10.2.djvu/685

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MYSTIQUE, QUESTIONS THÉOLOGIQUES


parvenir à s’entendre, Revue d’ascétique et de mystique, 1920, p. 339-351.

3° Les phénomènes mystiques et les dons du Saint-Esprit, ou la place que doit occuper l’élude de la mystique dans une synthèse Géologique. — On sait que, selon les théologiens catholiques, l’âme en état de grâce est dotée de ce que l’on a pu appeler un organisme surnaturel, composé notamment des vertus infuses et des dons du Saint-Esprit, vertus et dons étudiés dans les cent soixante-dix premières questions de la IIa-IIæ de saint Thomas. On sait, d’autre part, que, sous le nom de grâces gratis datas, les théologiens, et notamment saint Thomas, ibid., q. clxxiclxxviii, étudient les « charismes » énumérés par saint Paul, dont la production ne dépend pas nécessairement de l’état de grâce. Faut-il rattacher les phénomènes mystiques aux dons du Saint-Esprit, ou aux charismes ? Tel est, grosso modo, le troisième problème théologique concernant la mystique.

L’école dominicaine, avec les RR. PP. Garrigou-Lagrange, Joret et Gardeil, notamment, se prononce pour la première partie de l’alternative ; et l’on ne peut qu’admirer l’ingéniosité avec laquelle le P. Gardeil, dans La structure de l’âme et l’expérience mystique, t. ii, p. 196-231, rattache à tel ou tel don du Saint-Esprit les différentes étapes de la vie mystique. D’autres théologiens, de diverses écoles, préfèrent la seconde hypothèse : « tel fut en particulier l’enseignement d’Antoine de l’Annonciation, C. D., Disceptatio myslica, t. ii, q. iv, a. 8, n. 34°, Garrigou-Lagrange Perfection chrétienne et contemplation, t. i, p. 277. Tel nous paraît aussi le sentiment du P. de Guibert, qui n’hésite pas à reconnaître dans certains phénomènes mystiques de vrais miracles psychologiques, « à une condition cependant, celle de ne pas oublier que ce miracle psychologique tend par lui-même, directement et premièrement, à la sanctification de celui qui en bénéficie, et ne doit donc pas être assimilé purement et simplement aux grâces gratis dates, dont le but premier est de faire rayonner la puissance de Dieu, pour le bien général de l’Église. » Revue d’ascétique et de mystique, 1924, p. 11.

Avant d’essayer une conciliation de ces deux points de vue, qu’il nous soit permis de signaler les très pénétrantes analyses de M. R. Carton sur les degrés des grâces illuminatrices dans la théologie de Roger Bacon, dans L’expérience mystique de l’illumination intérieure chez Roger Bacon, p. 214-282. C’est un ample et suggestif commentaire d’un court passage de YOpus majus, cité p. 214, note 1 : Et sunt septem gradus hujus seientiæ inlerioris ; unus pcr illuminaliones pure scienliales ; alius gradus consista in oirtutibus… Tertius gradus est in septem donis Spirilus Sancti quæ enumeral Isaias ; quarlus est in beatitudinibus quas Dominus in Evangeliis déterminât ; quintus est in sensibus spiritualibus ; sixtus est in fructibus… ; septimus consista in raptibus et modis eorum secundum quod diversi diversimode rapiuntur, ut videant multa quos non licet homini loqui. Et qui in his experientiis vel in pluribus eorum est diligenler exercilatus, ipse potest certificarc se et alios non solum de spiritualibus, sed omnibus scienliis humanis.

A la simple lecture de ce texte, on remarque d’abord qu’outre les vertus et les dons du Saint-Esprit, Roger Bacon reconnaît un troisième principe d’opérations infus avec et dans la grâce sanctificanle », les béatitudes, p. 225 ; puisqu’il distingue des unes et des autres les sens spirituels, qui nous introduisent bien dans le domaine mystique, cf. p. 242-256 ; enfin que le suprême degré de la connaissance mystique se trouve dans l’extase, p. 256-262.

Que faut-il donc penser de l’alternative où l’on paraît vouloir nous enfermer : ou les phénomènes mys tiques proviennent des dons du Saint-Esprit, ou ils proviennent de grâces gratis datas ? — En réalité l’alternative est ainsi mal posée ; avec la formule suivante, nous nous approchons davantage d’une meilleure position du problème : « la vie mystique appartient-elle à la catégorie de la grâce sanctifiante, des vertus et des dons ou à celle relativement inférieure du miracle et de la prophétie ? » Garrigou-Lagrange, op. cit., p. 60 ; ou mieux, comme l’explique l’auteur, les phénomènes mystiques sont-ils surnaturels au sens théologique, surnaturels quoad substantiam, ou seulement surnaturels au sens philosophique et vulgaire, c’est-à-dire surnaturels quoad modum, ou préternaturels ? Sont-ils des « fruits » de la grâce sanctifiante, ne pouvant se produire par conséquent que dans les âmes surnaturalisées, ou des « faveurs » divines, des grâces actuelles d’une forme et d’une force particulières, pouvant atteindre aussi bien des âmes encore infidèles ou pécheresses, pour les amener à la vie surnaturelle, que des âmes régénérées pour les pousser à la sainteté ?

Distinguons : rien n’empêche de reconnaître une vie mystique qui serait l’épanouissement normal de la grâce sanctifiante, sans être le résultat de ces faveurs divines plus proprement mystiques, c’est-à-dire miraculeuses ; celle-là serait surnaturelle quoad substantiam, sans l’être en même temps quoad modum ; ce serait la vie mystique i ordinaire ». Au-dessus d’elle, on reconnaîtrait une vie mystique « extraordinaire », surnaturelle dans les deux sens du mot ; « cette contemplation infuse, dit lui-même le P. Garrigou-Lagrange, est dite aussi surnaturelle, parce qu’elle l’est doublement : non seulement quant à la substance de l’acte, comme l’acte de foi infuse, mais quant au mode… », op. cit., p. 274. Enfin, à côté de ces vies mystiques, ordinaire et extraordinaire, on admettrait des phénomènes mystiques qui pourraient n’être surnaturels qu’au sens philosophique, qu’ils se produisissent d’ailleurs en faveur de fidèles ou d’infidèles, d’âmes pécheresses ou d’âmes en état de grâce. « Nous sommes’à même enfin, de comparer, dans l’ordre de la grâce, les illuminations intérieures respectives du fidèle et de l’infidèle, et de donner aux unes du moins leur nom dans le vocabulaire théologique de l’époque (xme siècle) : les illuminations spéciales dont se sont trouvés gratifiés les grands philosophes de la Gentilité, ne pourraient-elles pas s’appeler des grâces purement gratuites, ce qui ne veut pas dire des grâces gratis datas (en note : celles-ci sont données au profit des autres et non au bénéfice de celui qui les reçoit, d’après l’enseignement théologique), comparées à celles du fidèle qui demeurent bien chez lui des clartés de la grâce sanctifiant son âme, gratis gralum facientis ? » R. Carton, op. cit., p. 229-230, à propos de R. Bacon. Nous avons déjà fait remarquer que saint Thomas rapporte à la prophétie, c’est-à-dire aux grâces gratis datas, un certain nombre de phénomènes mystiques, et qu’il fait du raplus un degré de la prophétie ; cf. Summ. thèol., IIa-IIæ en tête de la q. cxxxi.

Quant à expliquer la vie mystique, ordinaire ou extraordinaire, par les dons du Saint-Esprit, c’est une tout autre question, dans le détail de laquelle nous ne voulons pas entrer. Il s’agit ici d’un système théologique, auquel on peut opposer d’autres [systèmes théologiques, celui de saint Bonaventure et de Roger Bacon par exemple ; cf. R. Carton, op. cit., p. 214-282. Voir Revue d’ascétique et de mystique, 1922, p. 394-411, Dons du Saint-Esprit et mode d’agir « ultra humain » d’après saint Thomas (J. de Guibert) ; 1923, p. 321-344, Dons du Saint-Esprit et vie mystique (J. de Guibert) ; 1924, p. 3-32, Dons du Saint-Esprit et contemplation infuse (J. de Guibert).

4° Nécessité des grâces mystiques pour la sainteté proprement dite. — - Précisons bien le sens de la ques-