Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/200

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
385
386
THÉOLOGIE. SAINT THOMAS

même, lorsqu’il se demande, III », q. xlix, a. 6, si le Christ a, par sa passion, mérité d’être exalté : ce n’est pas en vertu du principe de justice selon lequel celui qui a été mis plus bas qu’il ne méritait doit être exalté au delà de son strict dû, qu’il affirme le mystère, mais bien en vertu du texte de Phil., ii, 8, cité au sed contra : le fait chrétien n’est pas un cas de la loi générale invoquée et ce n’est pas à cause de cette loi qu’il est vrai ; mais la loi générale sert à l’interpréter intellectuellement et, en quelque mesure, à en comprendre les raisons. Nous tenons une ratio quæ non sufficienler probat radiant, sed quæ radici jam positæ ostendat congruere conséquentes efjectus. Sum. theol., I », q. xxxii, a. 1.

Il faut remarquer cependant que, dans les cas les plus heureux, l’argument de convenance sera tout près de devenir une explication véritable et se joindra à ces rationibus investi gantibus veritatis radicem et facientibus scire quomodo sit verum quod dicitur. Quodl. iv, a. 18. Dans la mesure où l’analogie invoquée est rigoureuse, elle devient en effet une analyse indirecte de structure et fait connaître vraiment une nature profonde des choses ; la théologie dégage alors des connexions qui, fondées dans la nature des choses, ont la nécessité de cette nature. Ainsi quand saint Thomas, I*-II", q. lxxxi, a. 1, se demande si le péché d’Adam est transmis à sa postérité par voie de génération et qu’il argue de ce fait que l’humanité est comme un seul homme dont nous sommes comme les membres, il fournit une analogie qui est bien proche d’une explication de structure. Il faut d’ailleurs noter que cette explication ne prétend nullement prouver rationnellement le/ait, mais veut seulement, le tenant par la foi, tenter d’en rendre compte le plus profondément possible. L’article même que nous venons de citer illustre bien cette remarque, lui qui est introduit ainsi : Secundum fidem catholicam est tenendum quod… Ad investigandum autem qualiter…

Au total, la théologie telle que saint Thomas l’a entendue et pratiquée nous apparaît comme une considération du donné révélé, de mode rationnel et scientifique, tendant à procurer à l’esprit de l’homme croyant une certaine intelligence de ce donné. Elle est, si l’on veut, un double scientifiquement élaboré de la foi. Ce que la foi livre d’objets dans une simple adhésion, la théologie le développe dans une ligne de connaissance humainement construite, cherchant la raison des faits, bref reconstruisant et élaborant, dans les formes d’une science humaine, les données reçues, par la foi, de la science do Dieu qui crée les choses. Ainsi, par son esprit dirigé par la foi, l’homme prend-il une Intelligence proprement humaine des mystères, utilisant leur liaison ou leur harmonie avec le monde i connaissance naturelle ; il fait rayonner l’enseignement révélé dans sa psychologie humaine avec toutes ses acquisitions légitimes et authentiques qui, finalement, sont aussi un don de Dieu. Comparer R.’.agnebet, dans Revue thomiste, 1938, p. 229 sq.

c) Les disciples de saint Thomas.

De l’interprétation précédente de la pensée de saint Thomas nous trouvons une confirmation dans les écrits de ses dis ciples Immédiats. Annibald de Annibaldis, disciple et ami de saint rhomas, dans son commentaire du prologue des Sentences, développe une notion de la Iheologia ou stura doclrina toul a fait dans la ligne que nous avons dite. Texte imprimé dans les œuvres de saint éd. de Parme, t. xxii. Rémi de Glrolamo († 13 disciple Immédiat de saint Thomas, pour autant que l’exposé de s.i pensée que fait l(^r Grabmann permet d’en juger, e » l dans la n lue L’t'.rr von Glauben, Wissen und Glaubem tnscha/t bei r<> Remigio de Girolaml, dans Diras 1 homat, 1929, p. 137 sq i re plus m Ion d’un autre disciple de saint Th mbo lognus de Bologne, qui d’ailleurs reprend ad verbum certains textes des Sentences du Maître ; cf. les textes publiés par Mgr Grabmann dans Angelicum, 1937, p. 44 sq., 55. — Encore qu’il ne soit sans doute pas un disciple immédiat, l’auteur du Correctorium Corruptorii « Quare » est à coup sûr l’un des premiers thomistes ; on relèvera donc ici son témoignage, op. cit., in 7° m part., a. 6, éd. Glorieux, p. 35-36. — Enfin, bien qu’ils relèvent, chacun de son côté, d’autres influences que celle de saint Thomas, on joindra encore ici Ulrich de Strasbourg, Summa de bono, t. I, tract. 2, éd. Daguillon, p. 27 sq., et surtout p. 30, et Godefroid de Fontaines, Quodl. ix, q. xx, concl. 1.

Sur la théologie selon saint Thomas, outre les études citées supra, col. 383, on verra : J. Engert, .Die Théorie der Glaubenswissenschal l bei Tlwmas von Aquin, dans Festgabe Seb. Merkle, 1922, p. 11-117 ; F. Blanche, Le vocabulaire de l’argumentation et la structure de T(vticle dans les ouvrages de saint Thomas, dans Revue des sciences philos, et théol., t. xiv, 1925, p. 167-187 ; R. Garrigou-Lagrange, De methodo S. Thomte, speciatim de structura articulorum Summæ theologicte, dans Angelicum, t. v, 1928, p. 499-524 ; A. d’Alès, art. Thomisme, dans Dict. apolog., t. iv, col. 1694-1713 ; H. Meyer, Die Wissenscha/tslchre des Thomas von Aquin. B. Die Glaubenswissenschaft (sacra doclrina), dans Philos. Jahrbuch, t. xlviii, 1935, p. 12-40.

2. Saint Thomas a transformé le rendement du travail rationnel en théologie.

Aussi bien la raison qu’il y emploie connaît une nature des choses ; elle a une philosophie. On ne peut nier qu’Albert le Grand et Thomas d’Aquin apparaissent comme des novateurs au xiiie siècle. Ce qui les met à part, c’est qu’ils ont une philosophie, c’est-à-dire un système rationnel du monde qui. dans son ordre, a sa consistance et se suffit.

Mgr Grabmann a très heureusement souligné, dans Die Gcerresgesellschajt und der Wisscnschaflsbegrifl, Cologne, 1934, p. 8* sq., la formation scientifique aristotélicienne de Thomas et de ses maîtres ; les premiers écrits du jeune dominicain seront un De ente et un De principiis naturæ. Tandis que Bonavenlure, d’après son propre témoignage, débutera par une expérience d’Aristote beaucoup plus négative, à savoir l’expérience d’un maître d’erreurs, Collat.de decem prseceptis, coll. ii, n. 28, éd. Quaracchi, t. v, p. 515, saint Thomas est mis d’emblée à l’étude d’Aristote comme à celle d’un maître en la connaissance rationnelle du monde. Aussi rclcve-t-on bien des Irait s de relations amicales entre Thomas d’Aquin et les professeurs de la Faculté des Arts. Inversement pour les philosophes de la Faculté des Arts, saint Thomas était l’un d’eux. Finalement, il sera englobé avec plusieurs d’entre eux dans les condamnations des années 1270 et 1277, qui visent pour une bonne part des positions philosophiques. Voir art. Tbmpibr, ci-dessus, col. 99 sq.

Au vrai, qu’ont fait Albert et Thomas d’Aquin ? Quel est l’objet du débat qui s’est institué entre eux cl les augustiniens ? Quand Bonaventure, Kilwardby, Peckham et d’autres s’opposent à Albert le Grand et à saint Thomas, que veulent-ils et pourquoi agissent-ils ? Il faut y regarder de près. D’une part, en effet, ces opposants sont loin de rejeter la philosophie et ils sont aussi philosophes que ceux qu’Us Combattent ; d’autre pari, il est clair que ni Thomas ni Albert ne refusent de subordonner la philosophie à la théologie ; la formule ancilla théologies est commune aux deux écoles. Et pourtant, il y a bien deux écoles. Pourquoi ?

A la suite d’Augustin, les augustiniens considèrent toutes chose, dans leur rapport à la tin dernière. I lie connaissance purement spéculative « les choses n’a pas d’intérêt pour le chrétien. Connaître les choses, c’est onnaltre en référence a Dieu, qui est leur fin : les connaître vraiment, pour non, , c’est les r » f> >< > nous-mêmes, , Dn-u. par la charité. Aussi, dans la