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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/220

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THÉOLOGIE. LES SPÉCIALISATIONS

aisé de préciser quand et comment est intervenue cette coupure. Le Moyen Age avait connu cette distinction. C’est ainsi que, dans sa fameuse Summa Abel, Pierre le Chantre dit : Theologia duplex est : superior sive cselestis, quæ divinorum nolitiam spondet…, injerior sive subælestis, quæ morum informalionem docel. Grabmann, Gesch. d. scholast. Méthode, t. ii, p. 483, n. 3. On retrouve une distinction semblable chez Guillaume d’Auxcrre, ibid., p. 484 ; Robert de Courçon, p. 494 ; Jean de La Rochelle, p. 495 et 504 ; Pierre de Poitiers, p. 503, n. 2 et 504, et auparavant chez Yves de Chartres, op. cit., t. i, p. 242. Cependant, cette division, au Moyen Age, était d’ordre purement pragmatique ; elle s’entendait à l’intérieur d’une même discipline et il ne venait pas à l’esprit d’en faire une séparation. Dans le dernier quart du xvie siècle, au contraire, la morale devient, chez un grand nombre d’auteurs, un domaine à part, soustrait à l’influence directe et constante du dogme.

Quelles causes assigner à ce fait ? Faute des études de détail indispensables, il est malaisé de le dire. Le P. A. Palmieri suggère en ceci une influence protestante, mais il ne donne, en ce sens, aucun fait, aucune justification. Acta Academise Velehradensis, t. viii, 1912, p. 157. La chose n’est pas impossible ; de fait, l’ouvrage du calviniste Lambert Daneau, Ethicæ christianæ libri très…, 1577, est sans doute un des premiers traités de théologie morale séparée. Fr. Tillmann, Kath. Sittenlehre, t. iii, p. 33, souligne l’influence des prescriptions du concile de Trente relatives à la confession détaillée des péchés sur l’afflux des ouvrages de casuistique que l’on remarque alors. On peut remarquer enfin que les auteurs d’ouvrages de théologie morale séparée sont presque tous des jésuites, et des jésuites espagnols : Jean Azor, S. J., Institutiones morales, 1600, très nombreuses éditions ; H. Henriquez, S. J., Theologiie moralis summa, 1591 ; Th. Sanchez, S. J., Opus morale in præcepta Decalogi, 1613 ; L. Mendoza, O. C, Summa totius theologiæ moralis, Madrid, 1598, etc., pour ne citer que les principaux parmi les premiers spécimens d’une littérature qui fut très abondante. Ces ouvrages comportent généralement un traité de la fin dernière et de la moralité des actes humains, un traité des sacrements, un traité de la loi naturelle et positive (Décalogue, lois de l’Église), un traité des sanctions de droit ecclésiastique, enfin un traité des sanctions ou fins dernières.

Ces auteurs n’ont ni l’intention ni la conscience d’innover. Cependant, la différence est grande entre cette théologie morale séparée et l’ancienne partie morale de la théologie. Auparavant, il y avait, d’une part une étude scientifique de l’action humaine, aboutissant à une science théologique de cette action capable de la diriger, et. d’autre part, des manuels pratiques fort résumés à l’usage des confesseurs. La nouvelle théologie morale reprend la ligne de ces manuels, mais elle veut y introduire la matière des traités théologique,

elle veut aussi mettre à la disposition des confesnon

plus seulement un aide-mémoire complétant les traités scientifiques de la théologie morale, un manuel complet, se suffisant à lui-même, où la matière de ces traités scientifiques soit intégrée au titre de principes immédiatement applicables aux’uns pratiques ; le nouveau genre prend la succession des manuels de casibu » et il y absorbe, avec la matière dont elle traitait, la partie morale de la science logique. Cf. l’art. Probabilismb, col. 488 sq. ; 1 r erner, Gach. <lrr kathol. Théologie seit dem Trienirr (.mu ii, 1859, p, 50 iq. Les anciennes Sommes ou onfesseurs étaient des répertoires brefs et essentiellement pratiques, le plus ion vent disposés par ordre alphabétique. On aura désor-un ensemble systématique qui se suffira à lui même ; la morale devient une spécialité parmi les disciplines qu’on enseigne et sur lesquelles on écrit. Il s’agit d’une discipline particulière qui aura sa méthode et ses données propres. On aura un traité de la fin dernière séparé du traité de Dieu, un traité des sacrements séparé du traité du Christ… Aussi les nouvelles productions de théologie morale seront-elles, de soi, exposées au danger de subir, à la place de celle du dogme, l’influence de la philosophie. Déjà Yasquez ne voit, dans toute l’analyse de la moralité et des espèces de vertus et de péchés, que pure philosophie et, pour ce motif, considère la partie morale de la théologie comme subalternée à la philosophie morale ou mieux comme appartenant à la philosophie. In I* m part. Sum. theol., I » pars, disp. VII, c. v ; cf. disp. XII, c. m. On peut suivre, dans J. Diebolt, La théologie morale catholique en Allemagne au temps du philosophisme et de la Restauration, 1750-1850, Strasbourg, 1926, ce processus auquel l’étude du Droit naturel, à la suite de Grotius, a donné une forte impulsion, et qui tendrait à laïciser, si l’on ose dire, la théologie morale.

c) Scolastique et positive.

Grégoire de Valence, dans ses Commentarii theologici parus en 1591, parle de la division de la théologie en scolastique et positive comme d’une division courante. Disp. I, q- i, punct. 1. Vers le même moment, Louis Carbonia dit aussi : Theologia christiana dividi solet in scholasticam et positivam. Introduclio in sacram theologiam, Venise, 1589, t. I, c. vin. Un peu auparavant, le maître général des frères-prêcheurs, Sixte Fabri, dans une ordonnance du 30 octobre 1583, prescrit qu’au couvent de Pérouse, prœler leclionem theologiæ scolasticæ habeatur quoque lectio theologiie positivée…, cité par Ed. Hugon, De la division de la théologie en spéculative, positive, historique, dans Revue thomiste, 1910, p. 652-656 (p. 653). L’expression doit être courante, puisqu’elle est employée sans explication dans un document officiel. Cependant, elle est sans doute alors assez récente, car Jean Altenstaig, dans son Lexicon theologicum, Anvers, 1576, ne la mentionne pas ; Cano pas davantage, bien qu’il connaisse formellement la réalité qu’elle recouvre et qu’il parle deux fois de ponere principia, De locis, t. II, c. iv ; duas esse cujusque disciplina 1 parles… unam in qua principia ipsa tanquam jundamenla ponimus, slatuimus, firmamus, altérant in qua principiis positis, ad ca quæ sunt inde consequentia proficiscimur ; cꝟ. t. XII, c. iii, med. : Nulla enim omnino disciplina sua principia raliocinatione probat, sed ponit : ideirco enim positiones seu petilioncs nuncupantur.

On trouve la division en théologie positive et scolastique dans les règles d’orthodoxie ajoutées par saint Ignace de Loyola († 1556), à la fin des Exercices, reg. xi : « Louer la théologie positive et scolastique, car, comme c’est particulièrement le propre des docteurs positifs, tels que saint Jérôme, saint Augustin, saint Grégoire et les autres, d’exciter les affections et de porter les hommes à aimer et à servir de tout leur pouvoir Dieu, notre Seigneur, ainsi le but principal des scolastiqucs tels que saint Thomas, saint Bonaventure, le Maître des Sentences et ceux qui les ont suivis, est de définir et d’expliquer, selon le besoin des temps modernes, les choses nécessaires au salut éternel, d’attaquer et de manifester clairement toutes les erreurs et les faux raisonnements des ennemis de l’Église. » On le voit, dans ce texte de saint Ignace, la théologie positive et la théologie scolastique répondent moins à deux fonctions qu’à deux Dualités, ou plutôt à deux genres et comme à deux formes de la théologie.

On peut remonter au delà de saint Ignace et, jusqu’à nouvel ordre, nous considérerons comme le premier usage du terme celui que fait Jean Mair dans son commentaire sur les Sentences publié à Paris en 1509